Tuesday, July 30, 2002

Tout ce que nous désirions était en fait un désenchantement salutaire

« SPIRITUALITES»


« Le XXI° siècle sera spirituel ou ne sera pas »
d’après André Malraux


Le « protecteur » courroucé
Bernie est ce « protecteur », couleur de nuit, au cœur du dévotionnel monastique de Félicité. Son effigie terrible soutient officiellement la « pureté doctrinale » du monastère. Les flammes et le lugubre qui inspirent son apparence suggèrent la passion crépusculaire. L’ensemble, bien construit, d’une esthétique dramatisée, fait certainement son effet. Il paraît étonnant avec ses grandes dents.
C’est son image peinte qui est diffusée au monastère sous forme de photographies, la reproduisant à l’identique. Il est également sculpté. Il constitue l’un des supports des prosternations de ceux qui entrent dans le petit temple. Enfin une heure de rituel journalier lui est consacrée par la communauté en fin d’après-midi. Cette effigie énigmatique est donc très chère à tous les eurolamas à Félicité.

Il serait sans doute essentiel de l’examiner de près, pour mieux comprendre le fond du tantrisme, son dynamisme secret. Certains disent, sans doute avec quelque raison, que la traduction en langues occidentales de son rituel extensif ne manquerait pas de nous surprendre. La traduction n’a jamais été encouragée par le « Très Précieux. » Il l’avait même déconseillée clairement.

Peut-être, ce rituel expose-t-il une optique assez inhabituelle de la vie humaine. Ce protecteur courroucé porte à son cou un généreux collier de têtes humaines tranchées. Il est proposé comme un support d’identification aux apprentis du monastère et de ses centres de retraite collective. Il piétine un corps de son grand pied aux ongles longs. Bien sûr on pense au symbolisme cathartique, à l’alchimie des émotions, à la transmutation des passions. Il porte une coupe, évidée dans un crâne, débordant de sang, de la main gauche. Il brandit de la main droite un couperet, une sorte de hachoir galbé. Cela représente une voie possible pour des pratiques erronées d’identification par des disciples. Ils pourraient être tentés d’en faire un usage imaginatif hostile par exemple. C’est sans doute une éthique impérative pour les nouveaux disciples. Ils feront sans doute montre de discernement en restant fidèles à leur bonne et aimable forme humaine!

Il est permis aux eurolamas issus des deuxièmes retraites collectives d’imaginer être ce « protecteur. » Observons la manière dont cela se produit. Un disciple prie ardemment le maître. Il se visualise lui-même comme Bernie. Ce dernier va transformer ses émotions. Désarroi et colère seront « compassion. » Jalousie et mépris aussi « se transformeront. » Le disciple se voit comme cette apparition flamboyante et irréelle. Il est enseigné que Bernie est l’aspect courroucé du maître lui-même, doté d’ubiquité et de perfection. L’eurolama peut ainsi relâcher son dépit, voire soulager une crise personnelle, en la laissant s’oublier dans cette identification idéale.
A-t-il froid ? Rafraîchi par le climat de décembre, il grelotte dans sa chambre. Ainsi s’imagine-t-il alors comme Bernie, noir et enflammé de compassion, pour se dédier au maître.
Au monastère il est admis implicitement que ce mode de visualisation est permis, qu’il est libre de sentiment négatif. On suppose ailleurs que la question se pose quand même. De telles identifications à cette apparence salutaire, sont-elles sans effet psychologique ?

Il nous semble désormais une hypothèse de recherche que Bernie sert aussi à détourner des autres les colères et les dépits, à les rendre moins forts. Mais, si d’aucuns « jouent à Bernie, » ils risquent de cultiver des dynamiques flamboyantes, et fortes d’émotions. Il devrait en résulter des effets analogues : de la passion, et beaucoup d’activité inconsciente. La méditation n’est pas facile avec ce modèle impressionnant qu’est Bernie!

Il faut sans doute une pratique de la sérénité très stable pour éviter le dérapage vers un « jeu de rôle » inquiétant... Peut-être des chercheurs en anthropologie auront-ils l’idée de traduire un jour l’ensemble des textes rituels ? Cette traduction suffira sans doute à éclairer quelque peu les Occidentaux. Les chercheurs seront ainsi amenés à apprécier le message intérieur. Ils détermineront s’il comporte une part de « magie rituelle. » Il leur faudra certainement interviewer ses pratiquants issus des retraites collectives de trois années. Ils apprécieront plus facilement des effets psychosomatiques à partir de leurs impressions. S’orienteront-ils alors vers un style d’hypothèse suggérant des corrélations douloureuses et des désagréments indirects pour d’autres personnes ? L’avenir le dira. « Il suffit de voir les divinités du tantrisme, par exemple, pour voir que ce n’est pas une religion d’enfants de chœur. [...] [Les protecteurs du dharma] mettent désormais leur pouvoir de nuisance au service de la doctrine. » écrit un connaisseur du bouddhisme, Bernard Faure.1]

Peut-être peut-on l’expliquer par la variété étonnante des pratiques. Tout dépend des personnes qui s’y intéressent, de leur exigence morale, de leur liberté de choix. On sait maintenant que le dalaï lama a dû s’opposer à une faction importante de sa propre école Gelougpa. Il a même interdit le culte rendu à un terrifiant gardien courroucé, appelé Shugden, de l’ancienne tradition himalayenne.
Ursula Gauthier, dans ses reportages du Nouvel Observateur, écrit : « Paru en 1975, un « Livre Jaune » ne détaille-t-il pas la longue liste des traîtres à la pureté geloug châtiés de mort violente par le terrifiant gardien. [...] La vengeance du dieu bafoué [Shugden] est féroce : en 1997, à Dharamsala on retrouve trois corps méconnaissables, rituellement lardés de vingt coups de couteau. »2 Il ne faut pas faire du tout l’amalgame avec ces faits et ces cultes issus d’une autre lignée, et d’un autre protecteur. Ce serait méconnaître la subtilité des pratiques tantriques et leur large spectre. Il faut cependant être réaliste. Existe-t-il un risque de dérive sérieux pour ces images de protecteurs courroucés en Europe demain ?

Une « divinité de méditation »
On ne peut lever ici le voile complètement sur ces pratiques. Elles sont encore discrètement préservées des regards dans le cadre des retraites collectives de trois années. La description de ces apparences permettra à chaque lecteur de se faire une idée personnelle. Les Occidentaux ont souvent tendance à survoler le bouddhisme, et ils attribuent une valeur simplifiée aux « sagesses » issues du monde himalayen. L’évocation de ces images vides et illusoires est sans doute emblématique de ce que recèle cette tradition. On risquerait en lisant trop vite leur description, de les voir de manière ordinaire. Pour le disciple, il ne peut en être de même. Il ne doit pas tomber dans la critique. Il doit voir la « divinité de méditation » parfaite. Il est appelé à oublier ses contradictions avec son sentiment humain habituel.

Nous présentons ici la divinité principale de la méditation tantrique de Félicité. Miss est le nom fictif que nous lui donnons, préservant ainsi son culte de notre description trop succincte. Il s’agit d’une silhouette féminine, de couleur rouge. L’apprenti doit se percevoir comme s’il était à sa place, fondu en elle, en gardant à l’esprit son caractère transparent. Il s’agit d’une femme illusoire qui danse sur un pied et replie sa jambe libre. Elle est nue... Quelle complémentarité avec la Madone Sixtine, au doux regard, que Raphaël a délicatement parée de vêtements amples ! Il faut donc aux garçons qui pratiquent Miss pendant une année, en retraite collective de trois ans, se visualiser comme cette forme féminine rouge et nue ! Intéressant « défi » pour les classiques ! La « divinité » secrète touche du pied un corps humain posé au sol, de sa jambe gauche : l’ego de personnalité est ainsi défait par la sérénité.
Ses colliers blancs, ses bracelets, sa ceinture en ossements traditionnels sont exotiques pour des Européens. L’emblème de sa dynastie spirituelle apparaît, dans certaines représentations, ornant sa chevelure hérissée. C’est une tête de truie. À comprendre bien sûr comme un symbole. Les moines issus des retraites peuvent donc assumer la truie... On peut se demander quel est le sens de ce « totem. » Peut-être le maître est-il symbolique, ici, de la hure. Cette divinité joue un rôle pour inciter le disciple à se percevoir comme aspirant à l’unité secrète... Il faut au disciple s’imaginer très souple, avec des flammes qui l’entourent, dans une danse illimitée. Le feu qui échauffe et amincit le corps est-il porteur d’un symbole bienfaisant dans l’imagination ?

La « divinité » tient dans son coude replié un sceptre droit forgé de métal. Des têtes tranchées ornent en sautoir sa poitrine offerte. Son visage, avec ou sans sourire selon les représentations, aux sourcils circonflexes, suggère un air de renouveau. Sa bouche est tendre avec ses deux incisives saillantes. Ne l’appelle-t-on pas amicalement Vampirella ? C’est bien sûr ici un aimable clin d’œil.

Les mains sont visibles. De la gauche, elle porte un crâne tenu à l’envers et débordant de nectar bouillonnant. De la dextre, elle joue habilement avec un hachoir aux lignes affûtées. L’innocuité spirituelle de cette image doit être préservée tout le temps par le disciple... On voit, en effet, la difficulté du sentiment sain à l’assumer. Dans les rituels, car il en existe plusieurs autour de cette forme, des formules en sanskrit (mantra) sont répétées.

La période de méditation bouddhique qui suit la répétition des syllabes, est dépourvue de visualisation. Le débutant est encouragé, tout au long du processus, à maintenir une compréhension de la nature vide de cette apparence. C’est le but idéal de cette voie, et la fin de toute pratique. Cette identification a ainsi un effet. Il est probable que cette forme est à l’origine d’un puissant courant, chez les pratiquants de son rituel. Il constitue un dynamisme, fort et affirmatif, de nature à la fois individuelle et communautaire.

Peut-être donne-t-il à cette communauté d’eurolamas une assurance plus stable, une qualité pénétrante dans le monde. La faculté de pénétration de cette école, dans la culture, est-elle liée à la fermeté des images qu’elle enseigne ? C’est une hypothèse de recherche aujourd’hui, sans être la nôtre.

Il apparaît, à la vue de cette image étonnante, que ce tantrisme est une tradition prolongée de maintien d’antiques formes spirituelles. Elle s’apparente à des pratiques tantriques de l’Inde ancienne. Le panthéon des divinités s’est inscrit dans une douceur, lui conférant les qualités du bouddhisme. Il est étonnant que ces formes, véhiculées dans cette école himalayenne, deviennent aujourd’hui le cœur de ce monastère bouddhiste européen.

Nous avons personnellement la possibilité d’étudier la pratique. Nous en recevons la transmission d’une femme himalayenne vivant en Inde, et considérée comme « l’émanation principale de cette divinité » (sic).
Elle nous donne les permissions elle-même. Des enseignements pratiques détaillés nous sont transmis, ainsi qu’à quelques personnes, à son initiative. Cela se fait plus tard par l’intermédiaire de son disciple himalayen, un homme déjà âgé, loin des retraites collectives de Félicité. Certains maîtres, comme elle, dans cette lignée, le donnent désormais sans la retraite collective de trois années.
Il est précisé que nous pratiquons le premier des trois niveaux de la « divinité, » appelé aussi « extérieur. » Il comporte une gymnastique subtile afin d’obtenir des effets de bien-être. Il s’agit de visualiser des disques lumineux tournant en face de soi. On y dépose, puis on en retire, des flux de vitalité et de bienfait, aux coloris contrastés, visualisés comme sortant et entrant de divers points précis de notre corps humain. Il s’agit de techniques guidées, et complexes sans doute pour nous. Un rituel simple, dépourvu de ce contenu technique, rythme la visualisation. Cette dernière est donnée oralement. Il n’y a pour nous, au cours de ces exercices, aucune sensualité érotique.
La nuit, un lien intime avec le maître se manifeste. Cette « divinité » est un cadre dans lequel les disciples expérimentent peut-être des phénomènes subtils. C’est dans cette image qu’ils explorent les effets de sa pratique. Il nous fallait donc, à défaut de pouvoir expliquer l’ensemble de ces « yogas » intérieurs, en présenter le symbole apparent.

Où est passé Bouddha ?
En ce qui me concerne, ces images n’ont pas pu durablement s’implanter en moi. Peut-être notre éducation européenne sentimentale, artistique et douce craint-elle les apparences illusoires de cette « divinité » et de ce « protecteur ».
Des vues naturelles nous amènent sans doute à ne pas nous confondre finalement avec ce monde. Nous y ferions des grimaces, avec une mâchoire illusoire dotée de dents carnassières, en trépignant des corps humains! Ces bouddhas armés de hachoirs, brandissant des crânes dégoulinants de sang vermeil, sont terriblement exotiques.
Nous sommes empreints souvent de la pensée humaniste de Jean-Jacques Rousseau et de Saint Exupéry. Nous ne pouvons raisonnablement pas le désirer! Les idoles tantriques m’intimident. Elles ont tendance, pendant la période au monastère, à me modeler vers une attitude plus ferme et plus forte. En leur présence, la puissance, la noblesse, l’autorité la plus digne, semblent prendre corps et se concentrer. L’ascendant sur l’autre devient une évidence issue de la lignée elle-même. L’impression d’être invincible, armé, flamboyant, tempère le sentiment de vulnérabilité délicat de la sensibilité. Je pourrais subtilement gêner les autres avec ce hachoir à main, me dis-je. Alors je m’abstiens...
L’identification aux personnages divinisés, et mon désarroi pour leur force intérieure, suscitent ma gêne. Il me semble possible que la fonction de leur forme, fortement affirmée, est de soutenir leur communauté tantrique. Loin d’être une nécessité esthétique, elles constituent un courant dynamique, qui donne au lignage le pouvoir de durer dans un monde qui lui est amical. La convergence de ces consciences flamboyantes d’eurolamas fusionnant tous avec la forme rouge de la « divinité » tutélaire, paraît remarquable d’un point de vue de la pénétration du milieu humain, social, et culturel.

Si les prières du maître tantrique sont accomplies, c’est aussi parce que ses priorités peuvent disposer d’une fermeté supplémentaire. S’affirmer et flamboyer : ce style de tournure paraît bien refléter l’attitude gestuelle et expressive de cette « divinité » et de ce « protecteur ». Le regard de compassion immuable de ce panthéon pictural a-t-il le potentiel, au travers de l’identification quotidienne, pour unifier une collectivité dynamique, pour fortifier ses positions et pour s’intégrer aux autres collectivités ? L’idéal sous-jacent de ce lignage est-il la force secrète de l’altérité ? La quête de sens des jeunes générations européennes devra se former à un nouveau moteur de développement humain, à l’espoir qu’il suscite, aux illusions fascinantes qu’il fait venir, et aux conséquences inconnues de sa pratique...

Les bouddhas des cinq sagesses au quotidien
Ces méthodes ne sont pas, bien entendu, les seules possibles. Il est proposé au disciple une conception mythique et prodigieuse d’une lignée ancienne fondée dans le royaume himalayen. Le maître est décrit comme exprimant la totalité du potentiel de la sagesse. Il faut donc dans un premier temps abandonner l’esprit acerbe. Puis on voit le maître comme le bouddha omniscient et omnipotent. À partir de cette première encoche dans notre raison intellectuelle, il y a tout un élargissement de cette étonnante aspiration à la « perception pure. » Celle-ci va englober l’ensemble des phénomènes. Le disciple continue par vénérer tous les élèves. Il est invité à les voir comme les expressions du maître lui-même. Puis les autres êtres dans la nature sont à considérer de la même manière. Les souffrances expriment la « compassion. » Les bonheurs expriment la « félicité. »

Le « Très Précieux » propose aussi de se percevoir comme l’un des cinq bouddhas correspondant à cinq tendances. Le blanc (pour l’ignorance), le rouge (pour la passion), le jaune (pour l’orgueil), le vert (pour la jalousie), et le bleu (pour l’aversion) sont des couleurs à imaginer, en général. Il enseigne qu’en se mettant à la place de ces formes colorées et translucides du corps humain, en se fondant dans une image d’elles, en en percevant la clarté illusoire, on rencontre la transmutation de l’émotion en une sagesse. Ainsi la forme blanche du bouddha est comprise comme transformant notre ignorance confuse en une vacuité fondamentale.

La visualisation en une « divinité » rouge, pour apaiser l’émotion du désir passionné, nous associe avec une lumière illimitée, une félicité très profonde. La couleur d’or des bouddhas nous dote, nous dit-il, d’un sagesse sans orgueil, où ce dernier disparaît dans une conscience équanime. Leur couleur verte permet, selon cette approche, de bénéficier d’un potentiel accru d’activité. Nos jalousies, nos comparaisons vis-à-vis des autres, peuvent ainsi se transformer en un travail productif.
Enfin, les aversions, les émotions hostiles, révèlent une dimension immuable à partir d’une perception transformée de soi comme un bouddha bleu. Supposons un bénévole qui a froid dehors. Il peut s’imaginer comme le fier bouddha bleu, indissociable du « Très Précieux » ou du « Suprême. » Il invoque « la sagesse immuable de son maître » par sa prière : « je te prie afin que ce froid se change en sagesse. » Peut-être est-ce une efficace technique pour assumer une difficulté climatique... En réalité, la danse des émotions est rapide. Il est si difficile de le faire au quotidien. Est-ce facile de se voir ainsi comme un bouddha transparent et vide se substituant à un autre, comme un étrange humain translucide ?

Lorsque le disciple souhaite utiliser une technique moins exigeante, il imagine que les êtres et les phénomènes sont l’expression de la nature illusoire de la vie. Toute perception peut être comprise ainsi. Même un nuage qui passe peut être transformé mentalement : « c’est le nuage blanc qui manifeste mon maître... Blanc manteau infini de sa vacuité... Expression de sa compassion dans le ciel et dans l’univers... » Cette fusion dans une symbolique de vacuité est un soulagement perceptible. Le message de la lignée pénètre ainsi toute l’expérience phénoménale. Le souhaitable et le non souhaitable deviennent plus interdépendants qu’il n’y paraît. Notre pensée devient un simple agrégat. Le sentiment moral individuel peut-il coexister ici avec cet imaginaire ?



ANECDOTE D’ILLUSTRATION :
LES POMMIERS COUPÉS


L’image actuelle du bouddhisme est celle d’une entente cordiale. Nature et découverte, telle pourrait en être une devise... Cependant, il faut également percevoir la pluralité de styles des écoles tantriques. Le panthéon mythologique, adapté rapidement par des Européens, sans expérience préalable, est-il trop « tranchant, » trop courroucé, pour leur sensibilité active et parfois passionnée ? Les hachoirs à main que présentent des « protecteurs, » les couperets galbés des « déesses de sagesse » pourraient-ils, hélas, inspirer des tendances analogues chez des disciples ?

Voici cette anecdote. Une sympathisante du bouddhisme s’installe à proximité (cinq kilomètres) de Félicité. Voiture Twingo grenat, une touche élégante de couleur bordeaux dans ses habits laïcs, et un beau canapé rouge dans son salon chaulé, tendance Himalaya. La maison est bien rénovée. Il ne resterait à cette personne qu’à apprécier son petit clos arboré de somptueux arbres fruitiers. Il se trouve que le vieux verger concentre de beaux spécimens de pommiers, aux anciennes espèces acclimatées à ce piémont frileux.
Chaque année, ou presque, une abondance de fruits dorés et acides remplit ce jardin d’une récolte charmante. Or, voici que la nouvelle maîtresse de maison se décide à couper tous les arbres fruitiers. Elle demande à un tiers de les tronçonner. Ce dernier, surpris, lui suggère de renoncer à son projet, et d’épargner, ceux des arbres qui sont loin du muret de l’enclos. Elle insiste pour que tout soit tranché, et obtient gain de cause. Voici les arbres coupés. La mémoire de ce joli coin de bocages est oubliée.3 Il n’y aura plus d’ombrages ici pour l’été et ses chaleurs, plus de repas improvisés à leurs pieds, ni de compotes de pommes maison...



Notes :
1 « Cinq millions de Français se disent proches du bouddhisme, Bouddha [:] ce qu’il dit vraiment » reportage d’Ursula Gauthier : « Du rififi chez les lamas » in Le Nouvel Observateur, 3-9 août 2000, p.16.
2 Ibidem, p.14-16.
3 Nous avons gardé la mémoire de cette anecdote sur des photographies (panoramiques a.p.s., Nuvis A20-Nikon du 07-03-2001).









TRANSFORMATION DE LA PENSÉE, DES SENTIMENTS & DE LA VOLONTÉ


La communauté monastique a tendance à animer les pensées individuelles. Cette uniformité semble compensée par la franche personnalité de chaque moine. La simplicité de la pensée est grande. Chacun existe ici par ses liens avec le « protecteur » et la « divinité » (qu’on voit sculptés ou peints). Ce sont les principales présences, auxquelles chacun s’identifie.

Le disciple prie le « Très Précieux » et le « Suprême » pour son inspiration et pour l’aider à choisir avec lui la direction de sa vie. Il accueille, en échange, une sensation plaisante et diffuse venue de ces pratiques. Sa volonté est moins présente au monde.
Ainsi désengagée de la vocation humaine, elle devient une expression du monastère, et harmonique avec lui. C’est une forme de relation au groupe, une manière de découvrir son champ subtil et hiérarchisé (mandala).

Peut-être cette présentation est-elle générale. Il faut admettre, ici aussi, l’autonomie. Sans doute ce creuset est-il une provocation à l’émancipation des formes unanimes de vie en groupe. L’individu n’a-t-il pas à mieux explorer la liberté au cours d’une telle expérience ? La pensée stéréotypée, claire et convaincante, n’est-elle pas une étape, pour retrouver le chemin de la conscience individuelle ? Peut-être, cette manière de vivre convient à certains. Il faut parfois, pour d’autres, découvrir la vie de groupe, pendant quelques années. Ce mode de vie a des effets qui sécurisent.

La dévotion tantrique
Il est probable qu’une petite culpabilité non dite exprime parfois le prix moral que les disciples acquittent pour honorer cette tradition. À l’issue de l’expérience, le bilan est clair pour moi. J’habite dans un monde rassurant et, de plus, doté de quelques dimensions stables. Il est plaisant de m’y identifier. Cela contredit en quelque sorte la réalité complexe contemporaine. Les disciples vivent la certitude que la continuité au monastère est une manière préférable de vivre loin du cycle douloureux du monde.
C’est à dire qu’en s’abstenant des liens ordinaires avec les êtres qui appartiennent à d’autres milieux, chacun aspire à trouver dans le monastère une expérience spirituelle, valable et progressive. Il s’agit bien d’une sorte de quête. Elle consiste à penser la réalité ainsi : « les êtres humains à l’extérieur de l’ermitage sont exposés à trop de souffrance. Les heureux élus du monastère peuvent partager la sagesse. »
En réalité, la douleur et la peine, voire les illusions, y sont normalement éprouvées. Le clos n’en est pas exempt. Comment pourrait-il l’être : il est lui aussi une société humaine, et s’accomplissant par un autre message social.

Y a-t-il un mieux être perceptible dans ce lieu ? Il semble réel, mais évanescent. Souvent, une sorte de sentiment partagé adoucit les préoccupations. Des facteurs comme l’agitation, les travaux fréquents, et la vitalité très grande de la communauté tendent à enrichir l’individu avec d’autres images que les siennes.
Un apaisement du questionnement existentiel, voire l’oubli par les autres d’une partie de notre propre histoire, a un effet très positif. La béatitude diffuse enrichit les soirs de recueillement dans la chambre. Les expériences agréables, dans la posture méditative, sont les prédilections éprouvées quotidiennement.
Il n’y a pas de nécessité de faire s’affirmer le capital culturel accumulé au cours de l’existence individuelle. Les Européens, dont la démarche individuelle est de plus en plus centrale à leurs cultures, pourront-ils se résoudre à cela ? Dans ce processus de détachement de la biographie personnelle, le sentiment humain ne doit pas s’attacher à ses expériences émotionnelles particulières.

Voici, en guise de synthèse, quelques impressions personnelles concernant l’effet subjectif, en ce qui nous concerne, de cette tradition tantrique. Il y a sans doute bien des redondances dans les intitulés ci-dessous. Mais il paraît intéressant de spécifier quand même plusieurs thèmes pour nuancer la présentation de ces changements :

Effets, en sept points, de la vie au monastère (subjectifs) :

DISCIPLINE DE L’INDIVIDU :
Penser Se dévouer au maître
Aimer Se projeter comme une « divinité » du panthéon
Agir S’instrumentaliser en « protecteur de la lignée »

INFLUENCE SUR L’ÊTRE :
Esprit Perméabilité au maître
Sentiment Perméabilité à des divinités tutélaires
Volonté Perméabilité aux objectifs prioritaires du monastère

EXPÉRIENCE INDIVIDUELLE :
Identité spirituelle Évanescence des caractéristiques individuelles
Relations humaines Détachement des liens amicaux antérieurs
Dynamisme actif Sédentarité & réceptivité immobile

ENGAGEMENT PERSONNEL :
Conscience Simplicité du monde
Echanges Réallocation au monastère & au secret tantrique...
Activité Ralentissement perceptible

INTERACTION DE LA « NATURE HUMAINE » :
Système mental Devenir « un fils du maître »
Système émotionnel Prédilection intime
Système métabolique Dévitalisation partiellement irréversible du corps

EFFETS INDUITS PAR L’EMPRISE TANTRIQUE :
Conceptions Continuation de la tradition tantrique
Désirs Rencontre avec le désir
Actions Moins d’action dans le monde

INFLUENCE SOCIALE :
Pensée Philosophie simple
Relations humaines Affirmation d’une autorité transcendante
Fraternité Tendance à transformer les autres

Nous sommes amenés à nuancer le fondement philosophique de la dévotion tantrique. Elle dit qu’il faut céder au maître l’expérience de la liberté psychologique ordinaire. C’est naturel pour vivre au service de cette institution monastique. Cette autonomie est, selon elle, un mythe de l’illusion, une expression de l’ignorance.

Ce sacrifice de notre liberté psychologique est, selon ce point de vue, (est-il bouddhiste ?) la condition nécessaire pour rencontrer la liberté transcendante de la pratique méditative. Celle-ci se manifeste par la grâce supposée de la lignée traditionnelle. Nous ne trouvons pas ce charme du lignage tel quel. Il nous paraît qu’il contient aussi sa part de douleur, comme de bonheur.

C’est donc une promesse idéale, un appel rhétorique. Cependant les effets subtils corrélatifs à ce mode de vie, sont très disponibles. Ils sont plaisants, comme des ouvertures initiatiques de béatitude, et souvent aussi, douloureux. Il s’avère qu’il y a progressivement autant de peine induite, que de bonheur, dans l’ensemble de ces phénomènes subtils. Ces expériences, en définitive, avec le temps, valent-elles autant que le don de soi consenti ?
Pour moi elles sont chèrement disponibles. Elles ôtent trop de ma nature créative, de ma vitalité, et surtout de ma propre liberté individuelle intérieure. Un eurolama aux tempes blanches vit au monastère, très équilibré et cordial. Il a accompli le parcours successif des deux retraites collectives. Il exprime souvent, par ces mots, sa bonne humeur rétrospective : « beaucoup d’efforts pour peu de résultats. »

La dévitalisation du corps humain
Lorsque je visitai pour la première fois une école primaire et un collège à la pédagogie alternative, au début des années 90, je fus étonné de la vitalité très bonne, calme et active, des jeunes. Internes dans cette communauté humaine, ils bénéficiaient bien sûr d’une alimentation attentive issue du jardin bio. Cependant l’alimentation n’expliquait pas tout. Je vis dans leur style d’éducation la cause d’un dynamisme serein, individuel et créatif. Bref, leur vitalité s’exprimait dans leur corps, dans leur parole, et probablement, bien sûr, dans leur conscience.

Quel contraste lorsque je contemple les eurolamas qui sont passés par le filtre des trois années de retraite collective, voire des deux retraites successives. C’est comme si la vitalité de leur corps s’était, pour la plupart, estompée.
Certains semblent avoir même alangui leurs pas, avec un ralentissement de leur rythme. D’autres paraissent ne plus cultiver la force musculaire, au point que la plupart des travaux physiques leurs sont inhabituels désormais. Bien sûr ce n’est pas vrai pour tous. Cependant cette impression semble traduire un style de transformation intérieure opéré au cours des retraites sur place, puis sans doute poursuivi au monastère lorsqu’ils s’y établissent.

Probablement donnent-ils à leur force vitale moins d’importance au cours de leur formation tantrique. Ainsi il semble bien que le « moi » humain, le sentiment « je », soit vécu différemment dans l’institution. Il se pourrait que les eurolamas du monastère recherchent « l’abandon de l’ego ». Ils l’expriment par un détachement de leur individualité.
Celui-ci devient perceptible dans un corps détendu progressivement du tonus de ses ressources vitales.

Goethe a conseillé de contempler la nature, et les métamorphoses de la vie, afin de favoriser l’émergence saine de forces de la conscience. Au contraire à Félicité il s’agit de se fusionner avec des formes souvent inhabituelles, flamboyantes, parfois nues, ou enlacées en couple. On imagine que le développement sain et équilibré des facultés méditatives est une profonde quête, puisque le méditant tend ici à s’identifier avec des silhouettes éloignées de la vie.

Il me semble traverser avec cet engagement dans ce monastère bouddhiste tantrique une influence spirituelle progressivement transformatrice. Il me faut arrêter la vie monastique, et le dévotionnel dirigé vers le maître, afin de recouvrer mon individualité et mon sentiment humain particulier. Ainsi il s’avère que, loin de me réaliser en tant que personne, ce séjour au monastère a tendance à diminuer ce sentiment subtil et unique qui ressent le pronom « je. »

J’ôterai bientôt les rideaux qui masquent, dans mon habitat érémitique, la lumière du soleil. En cachette je fais mienne de nouveau la pensée de Novalis : « C’est elle la lumière ainsi que l’âme intime de la vie, que respire l’univers géant des astres inlassables, et il nage en dansant dans l’azur de ses flots ; c’est elle que respirent l’étincelante pierre en éternel repos, et la plante méditative qui est toute succion, et le sauvage, l’ardent le multiforme animal, — mais plus que tous encore le magnifique étranger avec ses yeux pensifs, sa démarche sans poids et ses lèvres mélodieuses, délicatement closes. »1

Si je m’exerce à un examen attentif du bilan conscient de cette vie au monastère, je vois clairement le prix que j’ai assumé pour vivre cette aventure étonnante.
Autant l’époque actuelle tend à incarner le sujet, autant le monastère et son culte cultivent une désincarnation porteuse d’idéal dévotionnel et un abandon des forces du moi.
Alors qu’une certaine mécanisation urbaine et technologique de la pensée affecte parfois les vies contemporaines, la dévotion au « Très Précieux » et la simplicité des concepts dévotionnels tendent à ramener vers une enfance spirituelle. Elle m’éloigne de l’autonomie de la conscience. Les sentiments se transforment pour le disciple tantrique vers une érotisation subtile du sentiment. Le génital tend à se répandre, et à éclairer la sphère du sentiment progressivement au fil des expositions à la voie tantrique. Il y a donc aussi un autre sentiment humain, et surtout une autre capacité à le partager dans le contact individuel. Une autre vitalité plus délicate s’exprime ici chez le disciple tantrique. « L’animal » naturel en soi est en quelque sorte contenu, voire effacé, par un allégement de son potentiel vital :

Pensée, sentiment & volonté dans la vie monastique tantrique à « Félicité » :

tendance idéaliste
enfance de la pensée
érotisme du sentiment
vitalité moindre du corps
désengagement de la volonté hors du monde


Ainsi un double mouvement s’opère dans la « formation » tantrique. D’une part « l’enfant intérieur » du disciple se garde dans un lien simpliste avec le monde. Il attend toute son expérience de sa dévotion au « Très Précieux. » Il vit parmi les figures emblématiques de sa lignée, bouddhas multiples de diverses couleurs, divinités nues ou enlacées...

L’autre mouvement s’opère en parallèle et en direction complémentaire. Le contexte du tantrisme libère le disciple de la culpabilité pour le sensuel. Il permet une autre réalité, imaginaire, transparente et colorée. Ainsi un érotisme du sentiment s’élève du corps. Il éclaire progressivement le champ de la sensibilité, et de la relation aux autres. Il pénètre bien sûr le domaine de la pensée. Ce deuxième mouvement contribue à l’atténuation des formes morales qui soutiennent le « moi » dans sa constitution. Ce phénomène agréable est probablement sensible pour des eurolamas. Ayant les vœux de chasteté, ils ne peuvent bénéficier d’une relation maritale tendre dans leur vie quotidienne.
Les deux mouvements contribuent à la transformation des forces du « moi », voire à son détachement.

Il est étonnant et rassurant de constater que cet effacement soit préservé de toute perturbation psychique de type pathologique. Nous n’en avons constaté aucune dans le cadre du monastère. Peut-être le « moi » se constitue-t-il autrement au cours de cette formation tantrique. Les disciples font en effet l’expérience de la compréhension de l’influence tantrique. Ils évoluent, comme tout être humain. Ainsi il faut nuancer l’observation de ce système culturel, en voyant que l’être humain équilibre progressivement ces influences à travers l’expression de sa liberté.

La diversité des personnes au monastère
Il existe une variété de personnes recevant les formations tantriques, vivant dans l’ambiance du monastère de Félicité. On ne peut pas réduire leur diversité à un seul style ou à un destin commun. Il est clair qu’on identifie bien des disciples vivant vraiment comme les « moines. » Cependant, il est pensable que sous les robes semblables se manifestent des êtres aux propensions différentes les uns des autres. Il est impossible de deviner réellement le style intérieur de ces pratiquants tantriques en robe monastique couleur bordeaux traditionnelle.

Ces apprentis dotés de diverses propensions, aptitudes et histoires de vie, font leurs propres expériences au fur et à mesure de leur évolution personnelle. Ils essayent et ils laissent. Ils changent et ils préservent leurs valeurs autant que possible. Ainsi tout un éventail de sensibilités se déploie. Chaque eurolama est ici en quelque sorte un yogi qui découvre ses tendances, en percevant progressivement l’impact sur les autres et sur lui-même de sa pratique. C’est un laboratoire, un centre de recherche. Certains abandonnent les rituels, d’autres les « protecteurs courroucés » comme Bernie. Certains pratiquent une méditation spontanée sans divinité flamboyante à visualiser.

Cette hypothèse d’une pluralité de propension face au désir de l’expérience méditative, allant du détachement serein, à la passion pour les résultats stables des absorptions méditatives, ne peut pas être écartée. Une représentation simple d’un réel complexe ne suffit pas. Cette profondeur est sans doute au-delà de la vie intellectuelle.

Nous avons l’impression étonnante que ce monastère est une synthèse de voies antiques. Le bouddha, qui en est pourtant le guide officiel, les avait passées sous silence, il y a deux mille cinq cents ans, dans ses enseignements oraux. C’est probablement un lieu d’apprentissage de voies plus anciennes encore que son message. On y trouve rites, décors, adoration, trône doré pour le maître, festins ritualisés comportant viande, sucreries et alcool, répétition des mêmes formules, perceptions intensifiées (siddhi) etc. Les disciples les expérimentent et les comprennent. C’est ainsi un lieu du désir de l’humanité pour la vie religieuse première sous ses formes les plus ornementées. Mais c’est surtout l’opportunité de le voir et de ne pas y accorder trop d’importance.

Ce contexte est caractérisé par les qualités individuelles des étudiants internationaux en quête de sens. C’est une situation favorable. Un système tantrique étrange d’un côté, et des apprentis modérés pour le comprendre. Ainsi nous sommes rassurés par les eurolamas qui se trouvent au cœur de ce système. Nous connaissons bien leur compagnie. Elle nous conforte sur leurs devenirs.

Il est clair que les êtres équilibrés ne développent pas le tantrisme dans la direction d’une pratique, indécelable, de désirs intenses. Ainsi nous sommes aujourd’hui confiants dans le présent. Quelques pratiquants sont sans doute séduits par la facilité. Des expériences agréables et des samadhi (absorptions méditatives variées) réchauffent un peu la solitude de leur chambre du monastère. Celles-ci sont-elles obtenues de par la présence communautaire tantrique en filigrane? Le mode d’action serait alors au-delà de la compréhension.





ANECDOTE D’ILLUSTRATION :
LES ARBRES RESSUSCITÉS


Ce couple habite depuis des années à proximité de Félicité (à deux kilomètres).
Elle était chargée d’affaires dans le domaine de la mode et des grands magasins. Lui, a accompli une retraite de trois ans, dans un des premiers groupes tantriques européens du Très Précieux. Ils ont refait leur vie ici, avec goût, et ont rénové une maison avec soins. Leur vaste terrain est aujourd’hui arboré de nombreuses essences de fruitiers. Ces arbres ont une belle histoire, qui constitue l’anecdote suivante. Un jour, ce sympathisant du bouddhisme se trouve visiter une jardinerie urbaine, dans sa patrie d’origine, l’Allemagne. On vient d’y changer les étalages de végétaux pour l’été qui approche.
Il aperçoit, derrière, des monceaux d’arbres fruitiers laissés hors sol, jetés les racines à l’air, sous le soleil. Il demande vite à la personne responsable de la jardinerie, la raison de cette invraisemblable désolation. En effet, pêle-mêle, gisent des centaines de pommiers, poiriers, cerisiers... Dans quelques jours ils seront desséchés. La directrice, cordiale et très compréhensive, lui confie que la saison chaude amène un marchandisage d’autres végétaux que les fruitiers. Il est désormais temps de pousser la vente des bambous...
Il n’y a plus assez de clients pour ces fruitiers, ni d’espace de pépinière pour les replanter, alors on se résigne ici, chaque année, à tout jeter. Elle ajoute : « je serais heureuse que vous preniez tout ce que vous voudrez, gratuitement, car je ne peux les garder... »
Notre voyageur s’enquiert alors d’une solution. Il déniche un vaste plateau de remorque d’occasion, qu’il attache au véhicule automobile disposant heureusement d’une accroche pour ce vaste attelage. Il paye ce coup de cœur sur ces propres deniers!
Les arbres à sauver sont déjà « trop » grands, hélas... Il les taille attentivement au sécateur. Il finit par réussir à « caser » plusieurs centaines de fruitiers, sur sa remorque. Il conduit cet attelage, long et très large, à travers la frontière entre les pays.
Il arrive sans encombre, après une longue route, à leur maison. Il consacre alors beaucoup de ses journées à acclimater ce verger inattendu, et à le « ressusciter » sur leur coteau ensoleillé...


Note :
1 Novalis, « Hymnes à la nuit », 1800, in « œuvres complètes », volume 1, traduction d’Armel Guerne, Gallimard, « du monde entier. »










SANTE & ÉQUILIBRE MONASTIQUES



Comment les eurolamas et les autres membres du monastère prennent-ils soin de leur santé au quotidien ? Je ne suis pas un observateur qualifié, n’étant pas médecin. C’est leur hygiène de vie et leurs rapports aux médicaments qui nous donneront ici quelques informations en guise de réponse.

La question de la santé est dans l’ensemble une dimension importante de la vie individuelle au monastère. Vivant loin des villes, bénéficiant d’un bon air, et d’une eau non traitée, issue de cette région d’anciens volcans et de montagnes érodées, les moines peuvent préserver leur vitalité naturelle.

Alcool consacré
On invite les bénévoles, et les moines sans expérience de retraite collective, à venir fêter l’inauguration du monastère avec les eurolamas... Une fête suivra le repas au réfectoire de ces derniers. J’arrive ce soir dans un espace rempli de joie et d’un zeste d’excitation. On a disposé, sur des tables, de nombreux gobelets de punch à l’orange et à l’alcool. Je ne consomme pas d’alcool et cherche un verre de jus de fruit. Il y en a quand même quelques-uns, là sur la gauche.

Le bouddhisme himalayen qui s’établit tranche avec les usages des autres écoles monastiques asiatiques. Je n’ai pu personnellement m’y faire tout à fait. Même en quantité très raisonnable, même sans excès, il m’a semblé que le symbole de l’alcool qui fascine le monde occidental, pourrait être évité, surtout dans un monastère, bouddhiste de surcroît.
Cependant cette manière festive, équilibrée, et prudente de consommer un peu d’alcool est très plaisante. C’est un art de vivre quotidien que les moines retrouvent avec ces moments de partage. Les apéritifs consacrés sont souvent parmi les meilleurs moments de la vie monastique...

Paradoxe : moi qui ne consommais jamais d’alcool avant d’aller à Félicité, j’en prends l’habitude au fil des mois. Pour les camarades ici, le petit verre autorisé est un moment de grande détente et de bonheur communautaire. Il ne faut pas le stigmatiser, ni le leur reprocher. Cependant les moines le vivent-ils très sereinement ? Le bouddha insista très clairement sur les dangers de l’alcool. Il le prohiba pour ses moines. Et il disait, c’est du moins ce que la tradition a rapporté, qu’il ne fallait pas boire plus d’alcool que ce qui reste d’une goutte de rosée sur un brin d’herbe, lorsqu’elle en a glissé. Une dose même minime d’alcool était déjà à proscrire. C’est sans doute l’une des divergences avec le monastère traditionnel en Asie du Sud-Est. Dans cette partie-là du monde les moines ne peuvent imaginer consommer d’alcool. Ce serait une faute. Ici, dans cette tradition himalayenne reconstituée, l’alcool a sa place. Elle est ritualisée et encadrée, elle ne donne pas lieu à trop d’ivresse...

Soins européens
Les soins ne font pas usage de la pharmacopée traditionnelle tibétaine. C’est l’information la plus intéressante, sans doute. La plupart des moines consultent en cas de problème leur médecin au monastère, diplômé en médecine d’une université allemande. En effet le complexe monastique a la chance d’avoir en son sein ce moine médecin. Il pratique l’homéopathie européenne, sans exclusive d’ailleurs vis-à-vis de la médecine moderne (allopathie). Un autre médecin, formé dans une université française, anciennement retraitant dans cette congrégation, s’est établi à l’extérieur. Il pratique aussi l’homéopathie européenne et l’acupuncture pour les eurolamas qui viennent en consultation.

Ainsi les pratiques de soins sont-elles attentives. On constate assez peu de prises de médicaments en général. Le recours à l’homéopathie est le plus fréquent. La médecine moderne (allopathie) est utile parfois, si les cas nécessitent des antibiotiques par exemple.
Les médicaments homéopathiques (des laboratoires Boiron, Dolisos, Lehning, etc.) ont sans doute été privilégiés par ces moines bouddhistes en raison de leur dilution des principes actifs. Cela permet-il à leur vie méditative de se poursuivre sans altération ? Le Dauphin, responsable de l’enseignement interne, a un jour un problème avec sa gorge. La formule « 314 » des laboratoires Weleda fait merveille. Froid et courants d’air ont diminué sa capacité à enseigner oralement de longues heures à ses retraitants. Ces gouttes (314 : Apis mell., Belladonna, Kalium Bichromium, Mercurius solubilis, Phytolacca dec.) s’avèrent efficaces, et il peut poursuivre la session pédagogique.

Le « Très Précieux » conseillé par son médecin traitant, prend Hypophan, sirop pour la toux. Certainement, l’ermite âgé, venu de l’Himalaya, découvre en Europe sa composition naturelle et son goût agréable de baies d’argousier et de sucre de canne.
Sans tabac, avec peu d’alcool, chacun ici dispose d’un bon contexte alimentaire pour assurer sa santé.

Cependant une habitude familière tend à contrarier le régime équilibré. En effet, au temple monastique, les rituels de consécration offrent de vastes plats de nourritures. On y trouve, chose étonnante, l’éventail des produits issus de l’industrie agro-alimentaire : barres chocolatées, diverses bouchées aromatisées et riches en additifs, conservateurs et exhausteurs de saveur...
On se demandera certainement la raison de ce goût étonnant des eurolamas pour ces plateaux de gourmandises difficiles à assimiler. Leur mélange provoque à l’occasion d’inhabituelles difficultés passagères pour leurs estomacs! La passion pour ce superflu n’est-elle pas aussi caractéristique de notre société de consommation ? Mais les plus âgés sont las des sucreries. Et certains, parmi les jeunes, s’en abstiennent déjà.

En ce qui concerne la longévité, on ne dispose pas encore d’informations suffisantes, le monastère étant trop récent. Il est arrivé seulement deux décès d’eurolamas jusqu’à présent. On ne peut en déduire aucune conclusion. Ces disciples étaient encore jeunes, et leur condition de santé était suffisante pour leur permettre d’avoir une vie très active.

L’un est parti dans une noyade maritime, à peine quelques jours après les enseignements publics du « Très Précieux », dont il assurait la traduction.

L’autre vivait à proximité du monastère. Dans la quarantaine commençante, il est mort, dans son camping car, au cours d’une halte, sur une aire de repos.

Un précepteur tibétain de ce lignage est décédé inopinément en Asie.

Un sympathisant s'est sucicidé.

Le père d'un jeune enfant reconnu comme "la réincarnation du défunt Très Précieux est mort à un âge encore jeune. Il s'est murmuré qu'il se serait donné la mort.



Les soins dentaires sont peut-être inégalement reçus par les eurolamas. Les personnes qui sont les plus attentives, par exemple les responsables de l’enseignement aux retraitants (« droupœnla »), reçoivent à l’extérieur les conseils de la médecine dentaire holistique et des soins qualifiés. Mais la bonne alimentation au réfectoire tend sans doute à favoriser une dentition saine.

Certaines moniales tantriques encore jeunes présentent des signes d’obésité étonnants, après seulement quelques années de vie communautaire. Leur corps féminin peut-il exprimer sa beauté humaine dans cette situation ? Leurs constitutions gracieuses, et expressives de leurs individualités, sont-elles inconsciemment contrariées par la vie sédentaire, rituelle, et collective de cette ancienne école ? Peut-être certaines mangent-elles trop de féculents et de sucreries ?



L’équilibre affectif des eurolamas
La vie communautaire a ses effets positifs. Les relations amicales tendent à permettre le partage et une appréciation des autres. Les eurolamas sont des moines et des moniales. À ce titre ils sont supposés garder une continence stricte. Cela semble difficile, voire impossible, même si le discours religieux honore ce choix. Il nous faut comprendre que ce n’est pas du tout la logique occidentale et judéo-chrétienne du péché qui prime. On se garde de regarder trop indiscrètement la vie personnelle.
L’onanisme existe parfois chez nos voisins moines. La faible épaisseur des cloisons au monastère et le manque d’insonorisation de son béton cellulaire creux (de la marque Ytong) ne cachent presque rien de ces quelques caresses solitaires. Elles sont naturelles bien évidemment, chez des hommes encore jeunes et sans partenaire intime. En effet, ce qui serait anormal pour les moines serait de vouloir strictement tenir la chasteté au prix d’une souffrance.

Cependant la chasteté est dans l’ensemble respectée de manière apparente et remarquable. C’est une communauté aussi exemplaire qu’on puisse imaginer de ce point de vue. Le désir est présent et se sublime sans doute dans la relation humaine. Je constate à la congrégation un style agréable d’échanges, de regard, et d’attention à l’autre. Le désir des uns et des autres, astreints aux vœux d’abstinence, favorise-t-il cette atmosphère chaleureuse au sein de l’enclos monastique ? Le tantrisme se prête à des satisfactions accrues dans cette population célibataire. La nuit cependant il m’arrive d’être trahi dans la rétention du fluide vital par des rêves érotiques.

Les visiteurs qui découvrent les abords du site monastique, parfois parmi les plus jeunes, sont regardés avec tendresse, mais aussi un zeste de sensualité par les moniales. Elles aussi doivent trouver leur équilibre sans partenaire. Comment le reprocher à ces ermites parfois jeunes, dotés d’un corps vivant ?

Le problème de garder les vœux de célibat n’est pas tant au début de l’engagement monastique. Il y a même plusieurs années parfois de « latence », où le moine ne souffre pas de la solitude. Le désir tend à s’apaiser avec la vie active au sein de la congrégation. C’est après les deux retraites de trois années que les eurolamas, désormais intégrés à la vie célibataire, doivent trouver eux-mêmes des compromis avec la règle d’abstinence.

Certains eurolamas vivent bien dans leur siècle. Avec réalisme, ils adoptent une image chaste en public. Ils sourient comme des anges du bouddhisme sur les photos. Et, en général, ils montrent l’exemple au sein de la vie quotidienne au monastère. Comme dans d’autres traditions d’ailleurs, certains, nous nous garderons de généraliser, mettent à profit leurs petits voyages dans d’autres régions, pour retrouver leur équilibre affectif. Mais cela appartient à la sphère privée et nous la préservons.

Il faut reconnaître ici le bon sens. Il paraît positif qu’ils trouvent discrètement le plaisir qui leur convient sans souffrir. Ils évitent ainsi de tendre leur psychologie. Il existerait en effet une possibilité facile de détourner les pratiques de visualisation des divinités himalayennes. Ils pourraient être tentés, s’ils n’avaient pas d’autre solution, de vivre par procuration l’érotisme. Ils se serviraient peut-être de la visualisation des autres sous la forme du maître et des couples sacrés tantriques. Les amis, les voisins, les personnes croisées au hasard de la journée, pourraient ainsi être imaginés à leur insu dans une étreinte sensuelle.

Que certains yogis, hommes ou femme, puissent vivre physiquement leur désir, comme tout adulte aujourd’hui, est le meilleur service qu’ils puissent nous rendre. Ils évitent ainsi à d’autres de subir cet imaginaire tantrique que ces derniers ne partagent pas, et dont ils n’ont aucune idée. Enfants, adolescent(e)s et jeunes adultes font parfois une visite de découverte autour du monastère. Le risque serait là que des eurolamas en manque d’amour, ne les regardent à travers le filtre d’une identification à des images bouddhistes transparentes...

Pour cette raison, il faut accueillir les initiatives réalistes de ceux et celles qui secrètement vivent une sexualité normale. Ils portent aussi la robe monastique du bouddha. Il ne faut certes pas le leur reprocher. Libres de l’intensité et de la passion qui s’accumulent parfois avec l’abstinence, ils regardent les autres avec une compassion qu’ils ressentent vraiment. Dans cette tradition il est possible de voir l’autre, qui que ce soit, comme sa divinité intime en somme. Il ne faut pas encourager les eurolamas aujourd’hui à le faire de manière exclusive. Il n’y a aucune sérénité dans les pratiques tantriques erronées. Elles peuvent devenir, sous couvert de préserver les vœux monastiques, un secret puissant et déplaisant, pour ceux qui en subissent l’imposition imaginaire.

Certains eurolamas trouvent donc aujourd’hui dans la promenade cybernétique sur Internet des stimulations visuelles en images couleur qui semblent les intéresser au moins autant que les divinités tantriques... Ils échangent déjà quelque disque compact (C.D.), gravé artisanalement par des connaissances à l’extérieur, empli d’images numérisées « roses! » C’est un support discret qui ne révèle rien de son charmant contenu aux regards inquisiteurs. Un espace convivial, de la métropole régionale voisine, accueille des secrets sensoriels et des caresses, tout à fait « tantriques », à faire sourire notre bouddha dans son indulgence illimitée ! Nous ne donnerons pas d’informations à ce sujet car elles appartiennent à la vie privée des intéressés.

Ces anecdotes sont utiles à suggérer, car elles révèlent une communauté plurielle. Elle a raison d’explorer la vie individuelle et la relation humaine. Il semble que certains parmi les eurolamas ne croient plus trop sincèrement à un idéal chaste et inaccessible. L’avenir dira si cette ancienne église peut évoluer en direction du réalisme vis-à-vis des besoins vitaux et essentiels de la nature humaine. La générosité des nouveaux — bénévoles, disciples, bienfaiteurs — sera-t-elle aussi grande à l’avenir vis-à-vis d’une population monastique, humaine en somme ? Elle est très consciente, en secret, des ajustements nécessaires de son désir oriental de perfection.


Le bilan :
Provocation à la spontanéité, la vie de novice, vaut quand même par la découverte d’un antique monde. Aujourd’hui, après avoir laissé le tantrisme, je suis satisfait d’avoir été au service de ce maître himalayen. C’était l’une de ses dernières années de vie. C’est une expérience enrichissante. Mais elle ne mérite ni passion, ni engouement. Il se peut que l’attrait du bouddhisme tantrique diminue un jour, pour d’autres, tout comme il a disparu pour moi. Le phénomène de mode pourrait fort bien s’estomper. Chacun se fera sa propre impression. Ce maître a quitté l’inconscient progressivement. J’ai été amené à recouvrer une individualité autonome, en laissant son image disparaître de mon imaginaire. D’autres auront leurs souvenirs...

La formation monastique m’a beaucoup plu. Le sentiment, préservé dans cette ambiance de tendresse pour le bouddha, était favorable à une vie relationnelle. J’ai, comme les autres, apprécié cette atmosphère venue du passé, venue peut-être des Himalaya. Nous pouvions sans peine nous mettre un peu à la place de ces moines asiatiques, comprendre leur manière de vivre.
Les expériences, les effets perceptibles, les qualités issues de ce monde imaginaire et subtil étaient nombreux, spontanés, nouveaux pour nous. Il s’agit d’un sanctuaire. Il ne se limite pas au beau folklore. Il y a vraiment une école, ancienne et nouvelle, tout à la fois. Ainsi le bilan est-il très bon.

Cependant, le temps n’a pas confirmé ces impressions. C’était la stabilité qui faisait défaut. La sérénité souriante que dépeint le bouddhisme n’était pas continue. Je trouvais des intensités, des visions, des ouvertures, mais pas réellement le « stable. » C’était donc autre chose.
Cette formation est intéressante. Elle permet à de nouvelles générations de faire leurs propres expériences d’une vie subjective très profonde...

La vie humaine ordinaire nous donne spontanément des expériences plus fécondes. Un voyage, une rencontre, un travail, un temps de disponibilité, la rue, la campagne, les livres : il y a une telle richesse et une telle profondeur dans la vie elle-même, qu’il est superflu de se clore ici entre quatre murs. L’école de la vie. Il nous a fallu nous rendre à l’évidence : elle était plus subtile. Elle nous donnait des contemplations plus fines. Ses sagesses étaient incomparables. Le monastère nous a paru ensuite un peu sommaire, ses expériences moins personnelles, et son atmosphère sans réelle nécessité.

Les questions :
Aujourd’hui, une grande porte de bois est close à l’entrée de Félicité. Le monastère s’est fermé aux visiteurs. Un code confidentiel à la serrure chiffrée réserve son accès. Pour moi se termine la phase des observations.

Cette école est-elle utile pour le Tibet contemporain en exil, si démuni encore ? Des projets lui sont-ils proposés par la direction de la congrégation ? Cette école induit-elle une quête stéréotypée de la vie religieuse ?

Étrange retour du destin : les Occidentaux, si modernes, expriment l’adoration, devant des antiques symboles. Étonnante colonisation à rebours : les Européens transformèrent le monde. Ils se trouvent aujourd’hui conquis.

Les moines volants de « Tintin au Tibet » sont-ils archétype de notre désir d’enfance spirituelle? S’y abandonner est-il nécessaire ? Faut-il extraire notre spiritualité de notre vie? Faut-il la projeter vers ces autels dorés, ces statues ? Après mes aventures auprès du « Très Précieux, » j’ai la conviction que la question existe. À quoi sert-il de me raser la tête ? Arborer dignement la robe des moines confère-t-il la « spiritualité » ? Me confier au maître accomplit-il mon projet individuel, ma personnalité essentielle ? Notre vitalité se garde-t-elle ? Nos talents sont-ils cultivés ?

La jeunesse qui se tourne aujourd’hui vers le tantrisme à Félicité sera-t-elle aussi enthousiaste dans ses engagements ? Sera-t-elle aussi riche de ses abandons dans quelques décennies ?

L’eurobouddhisme :
Le bouddhisme est-il l’expression, libre de dogme, de la sagesse ? Est-il une image traditionnelle, véhiculant l’universalité de son beau message ?
Le bouddhisme est religion en même temps que philosophie et pratique de la méditation. Il réunit les disciples autour de principes. Ceux-ci présentent la vie terrestre d’une manière à la fois optimiste et pessimiste. Il s’agit de sortir soi-même, et/ou de faire sortir les autres, du cycle frustrant des vies successives.

Cette sagesse est-elle la sagesse ? Sa conception de la vacuité intemporelle est sans doute une représentation d’une connaissance complexe et plurielle.
Réel, le monde l’est, bien sûr. Illusoire, il l’est aussi, dans ses métamorphoses incessantes. Indispensable est la vie humaine pour le comprendre. Éphémère, elle l’est aussi, nous le savons. La valeur de nos expériences est aussi celle de notre bonheur. Il faut bien se réjouir pour aimer, mais aussi pour comprendre. Il faut pouvoir rencontrer la diversité et la passion du monde pour l’appréhender.

L’initiative de se retirer du vivant n’est pas forcément la voie spirituelle de ma condition humaine. La passion européenne pour le bouddhisme aujourd’hui, n’est pas moins émotionnelle. Elle est basée sur le désir de sérénité. L’abandon de tout désir se concilie-t-il avec cette attente ? Cette doctrine de la libération totale paraît attirante. Peut-être, ses promesses sont-elles à considérer avec réflexion ? La libération du cycle des vies successives paraît discutable dans la perspective même du bouddhisme!

Ce dernier stipule que nos actions, nous réincarnent et nous donnent cette identité illusoire. Comment imaginer une cessation totale ? Puisque nos expériences de la vie nous poussent en avant. La pratique de la méditation elle-même nécessite aussi d’absorber une bonne nourriture. Elle appelle de généreux donateurs. Il faudra bien un jour les repayer de leur fidélité. Karma signifie action. Alors, le bouddha lui-même, ne peut s’être éteint complètement. Il devrait, selon sa doctrine du karma, être revenu après son nirvana. Ne doit-il pas restituer aux êtres leur mérite ? Ils l’ont nourri et vêtu. Ils l’ont logé dans de bons ermitages. Ses parents l’ont mis au monde. Ses disciples l’ont aimé et l’ont accompagné. Ne doit-il pas, selon ses propres principes, revenir offrir des compensations adéquates et correspondant aux dons qu’il a reçus ? Ainsi ce clin d’œil signale, peut-être, que l’éveil ultime est une image donnée à une humanité encore jeune, d’une réalité bien au-delà de notre compréhension.

Le bouddhisme aujourd’hui résiste à la crise des idéologies en Occident! Hélas, il a déjà les siennes en Orient. Les populations himalayennes avaient sans doute besoin d’aimer ces « lamas réincarnés », comme des « bouddhas vivants. » La sincérité de leur foi, leur éducation intuitive, les rendaient accessibles aux admirations pour ces images.

Les Occidentaux voudraient refaire leur monde spirituel. Ainsi il leur faudra peut-être se faire à l’idée que c’est eux-mêmes qui s’en satisferont. Ils n’attendront sans doute pas longtemps la solution du maître éveillé. Il est peu probable qu’il leur transmettra l’illumination définitive. Le bouddhisme est aussi une religion avec les traits caractéristiques d’une douce tradition, fort plaisante. Mais aucun Européen n’ira aujourd’hui mendier sa nourriture au village en psalmodiant devant chaque porte...

Au contact quotidien des eurolamas, les Occidentaux découvrent maintenant les orientations des écoles himalayennes. Les Européens sont en train d’expérimenter cette tradition. Le bouddhisme prône la non-violence et le respect des valeurs éthiques, la responsabilité individuelle et le détachement. Alors que des Occidentaux s’y essayent, n’est pas un défi pour leur civilisation et leur propre vie. Cette doctrine est adaptée à un monde ancien et silencieux, à des espaces vastes et peu peuplés, à des éducations fines et intuitives de la sensibilité. Nos contemporains voyagent à 900 kilomètres à l’heure et à 10 000 mètres d’altitude à bord d’un avion de ligne. Le sens du bouddhisme peut-il se révéler à eux de la même façon qu’à des potiers de Varanasi, au temps du bouddha Sakyamouni ? Le travail a changé depuis deux mille ans. Le corps aussi sans doute. La conscience également. La méditation est-elle imputée sur la même réalité humaine aujourd’hui ? Ce serait ignorer la transformation de l’humanité qui s’est accomplie.

Conclusion :
Aussi fulgurantes et souvent fascinantes qu’en puissent devenir les séductions, tout ce qui ressort du champ des effets spéciaux et de la conquête des esprits évolue et se dépose au creux du temps, s’y sédimente, vieillit et se décante d’une certaine manière dans son devenir comme la poussière tombe au fond de l’eau qui se repose.
Ce qui rayonne de l’expérience humaine personnelle, en revanche, s’élabore, souvent, peut-on écrire, par la transversalité du temps qui court, et l’étonne, liant à peine de légères relations avec le flux temporel.
Leurs apparences se confondent généralement jusqu’à nous induire à la confusion ; mais qui les expérimente de manière prolongée et intérieure, sait que les deuxièmes gardent leur saveur et leur qualité d’intemporalité, alors que les premières évoqueront immanquablement leur éphémère construction.
Ainsi notre découverte s’avère ressortir des deux types de phénomènes. Ouverte à la décantation de notre expérience, elle a laissé apparaître son construit social, historique, culturel et rhétorique.
Après plus de dix années de recherche heuristique, nous offrons ce premier regard à l’aune d’une simple expérience : la sagesse est-elle vraiment plus présente dans ce dispositif idéologique qu’elle ne l’est dans la vie sociale librement assumée ?

En revanche, il nous faut reconnaître l’existence surprenante de très remarquables phénomènes subtils, qui confèrent à cette culture bouddhiste de tradition himalayenne sa reconnaissance comme une école de yoga intérieur.
Il y a donc quelque chose qui y est donné, mais qui n’est pas réellement la recherche usuelle de sens, de sérénité, voire de connaissance. Ce quelque chose fascine, attire et magnétise aujourd’hui les candidats aux nouvelles méditations tantriques en Occident.

Il nous fallait en faire nous aussi la rencontre, prendre la patience avec nous et aller jusqu’aux conclusions. Le bouddha est aujourd’hui une image qui protège la réalité des yogas intérieurs indo-himalayens, et leur exploration remarquable de l’érotisme subtil, voire abstrait de tout acte corporel. Il nous a fallu le vivre.

La vie humaine n’est-elle pas, en général, plus adaptée à la sagesse, que certaines expériences contemplatives tantriques sans inscription dans la réalité planétaire ? Mais cette découverte vaut surtout pour nous-mêmes, peut-être d’autres y trouveront autre chose. Ainsi nous ne mettrons pas en garde trop prématurément nos contemporains de cette différence entre le message extérieur et notre expérience intérieure de cette vie monastique.

Il se peut que nous ayons exploré des limites au sacré aujourd’hui dans cette nouvelle possibilité de vie spirituelle. Il nous semble qu’elle est déposée aujourd’hui en Occident pour que nos prochains puissent s’ils le désirent la comprendre, avec ses ombres, ses dangers, ses difficultés, sans en faire l’économie au cours de son apprentissage. Le tantrisme évoqué dans ces pages nous fut donné avec la part de désenchantement qu’il a provoquée dans la nature, dans la culture, dans l’époque, de notre propre histoire.

La dérive des protecteurs courroucés
(invitation circonstanciée à la prudence)
On voit, à l’expérience, la tentation possible pour ceux d’entre les eurolamas qui aiment à s’identifier à la forme de protecteur noir. La vie quotidienne donne la possibilité de constater l’usage mondain de ces masques.
Les moines, lorsqu’ils ont à réussir quelque chose, s’identifient bien à celui-ci. On le devine à leur expression distante, à quelque chose d’implacable dans le style...
Le « monstre » est doté de signes prédateurs : couperet, bol de sang, ongles acérés, dents gigantesques, pieds massifs, et flammes autour de sa silhouette.
Pour celui qui finit par se confondre, à accepter de ne plus s’associer à son ego, il est tentant de pacifier des difficultés de la vie, par ce biais.
Pris dans les enjeux de son institution, ou de sa situation, voire de sa relation humaine avec un visiteur, il sera tenté. Il peut ainsi imaginer qu’il subjugue un opposant à ses propres choix. Inscrit ainsi dans cette image cultuelle, il ne transgresse guère ses attributions. Sa forme noire, vibrante de courroux, est une possible métamorphose.

Les choix erronés sont, hélas, illimités : piétiner l’ennemi, l’image même le prévoit. Il faut donc se douter que depuis mille ans au moins, toutes les astuces ont été essayées, et peut-être mises en service par des générations de « protecteurs, » c’est à dire de retraitants tantriques.








Glossaire


Bénévole : personne issue de la société civile, souvent jeune, gardant ses vêtements laïcs, et venant participer aux activités de la communauté bouddhique pour un séjour d’une durée variable d’une semaine à quelques années.

Bénédiction (« Djinlab ») : littéralement « soutien » pour le disciple tantrique. Ce terme a plusieurs significations possibles. Il désigne aussi les effets psychosomatiques agréables ressentis dans la proximité du maître tantrique ou de ses proches disciples.

Consécration de nourriture et d’alcool (« tsok ») : cérémonie rituelle durant une à plusieurs heures consécutives. Les disciples chantent, prient, et récitent des formules sacrées (« mantra »*). Ils s’établissent progressivement dans l’univers dévotionnel du tantrisme*. Tambour, trompes, et autres instruments à vent accompagnent ces puissants rituels. Un peu d’alcool fort est déposé enfin sous la forme de quelques gouttes dans la paume de chaque disciple. Un très petit morceau de viande rôtie également. Le disciple lèche l’alcool, puis il mange la viande. La perception sensorielle qu’il découvre est la forme tantrique de méditation de la consécration de nourriture et d’alcool (« tsok »). Le rituel sert aussi à détendre la communauté de ses inévitables stress collectifs. On supplémente donc la phase méditative proprement dite en la prolongeant par un festin partagé dans le temple. Il comporte des nourritures variées et des boissons avec et sans alcool. C’est une fête communautaire mensuelle, voire plus fréquente encore. La pleine lune est généralement la date la plus régulière pour ces événements appréciés.

Dalaï lama : moine né en 1935 et portant le nom de Tenzin Gyamtso. Il appartient à la lignée Gelougpa du bouddhisme himalayen. Il est la XIVème émanation successive des dalaï lama. Autorité et figure respectée du bouddhisme himalayen et du peuple tibétain en exil, Prix Nobel de la Paix. Il vit à Dharamsala dans la région himalayenne du Nord de l’Inde. Sa diffusion du bouddhisme himalayen, dont il est l’héritier en titre, présente le dialogue entre l’Orient et l’Occident sur les plans contemporains, scientifique, éthique et humaniste. Il est l’avocat principal des droits de l’homme au Tibet.

Eurolama : néologisme imaginé par l’auteur pour désigner les moines et moniales vivant en général au monastère de Félicité* et issus des centres de retraites collectives*. Ces personnes sont accréditées comme droupla (littéralement : retraite honorable) après une (ou deux) session(s) de trois ans en groupe. La plupart effectuent deux retraites, successivement. Les droupla peuvent découvrir le bouddhisme tantrique de cette tradition et l’enseigner éventuellement. Ils reçoivent le titre de lama environ trois années après leur sortie de retraite, selon les bonnes relations avec leur communauté et avec un « tuteur » qui en est l’expression.

Félicité : nom donné par l’auteur au monastère européen étudié.

Karmapa : Il est, avec le dalai lama* et le panchen lama, l’un des « guides spirituels traditionnels » dans le monde himalayen. « Maître tantrique bouddhiste de la lignée Kagyupa, et moine. » Il serait le premier connu, depuis l’an 1110 après J.C., pour ses « réincarnations » ou « émanations » successives. L’actuel karmapa, Orgyen Trinley Dordjé, est le dix-septième officiellement approuvé par le dalaï lama et les autorités sacerdotales qui sont affiliées à sa culture... Âgé de six ans, il est identifié en 1992 dans la région orientale du Kham himalayen dans une famille nombreuse de nomades tibétains. Pour ne pas être soumis à la politique chinoise, il quitte son monastère traditionnel de Tsurphu près de Lhassa, et s’exile en janvier 2000 à Dharamsala en Inde. Une douzaine de milliers de moines Kagyupa, c’était l’estimation préalable du réseau des proches disciples traditionnels, faite par son ami Taï Situ Rinpoché à l’automne 1994 (source : entretien collectif avec l’auteur à Vajradhara Ling, près de Lisieux).
Un autre réseau mondial de disciples, actuellement plus petit, s’organise avec ardeur et une volonté affirmée. Un autre jeune homme d’origine himalayenne revendique, en effet, le titre de karmapa. Traditionnellement un seul bénéficiaire peut porter ce nom et cette charge religieuse. Cette situation crée un dialogue tendu entre les deux tendances de cette tradition religieuse. Voir glossaire à la notice : « Suprême* » (le), pour la suite de cette définition.

Lignée, lignage : terme désignant la continuité de chaque tradition tantrique. D’une génération à l’autre de maîtres, le modèle d’enseignement et de pratique est transmis puis reproduit sans altération si possible.

Mantra : terme sanskrit désignant une formule supposée porter un potentiel particulier. « Om Mani Padmé Houng » (pour développer l’esprit de compassion) est le mantra les plus utilisé. Ce mantra est répété des milliers, voire des millions de fois. Les pratiques de récitation peuvent inclure un comptage sur un rosaire de perles.

Novice : terme désignant un apprenti moine bouddhiste. Pour le monastère étudié il s’agit de prendre les vœux de chasteté à vie et d’obtenir la permission du maître de porter la robe monastique. Le vêtement et les engagements fondamentaux sont les mêmes que pour les autres moines. Pour ce monastère la différence entre un novice et un moine à l’ordination complète est surtout dans la possibilité pour le premier de garder une activité salariée et de vivre à l’extérieur du monastère sans enfreindre ses engagements.

Régent(s) : personne(s) de confiance chargée(s) par un maître tantrique de retrouver sa « réincarnation » ou son « émanation » principale, après le décès. Le régent bénéficie souvent d’une lettre de prédiction autographe du maître pour faciliter sa recherche. Il est responsable de la bonne éducation de l’enfant retrouvé. Il peut y avoir plusieurs régents pour le même enfant.

Retraite collective de trois ans : Session intensive en groupe, de douze à quinze personnes par exemple. Les apprentis prennent des vœux de chasteté pour cette période au moins. Vivant dans un ensemble communautaire, doté d’un jardin d’agrément, d’un réfectoire et d’un temple, ils bénéficient d’une chambre individuelle. Ils ne sortent pas pendant trois ans. (Seuls leur cuisinier et leur vaguemestre ont la permission d’aller et de venir à l’extérieur.) Ils étudient en particulier les préliminaires tantriques, la pratique des divinités bouddhiques dévotionnelles et les yoga intérieurs de Naropa, un ancien yogi indien de l’époque prémédiévale. Pour la deuxième retraite il semble que le programme d’ermitage devienne récemment plus souple, plus individualisé. À l’issue de cette expérience, d’une ou de deux retraites de trois ans, les apprentis tantriques peuvent s’engager dans la vie monastique bouddhiste et vivre au monastère de Félicité* situé à proximité.

« Suprême » (le) : on a gardé l’anonymat de cette personne d’origine himalayenne, qui vit actuellement en Inde, en ayant recours à ce nom d’emprunt. Ce jeune homme a été identifié par l’un des quatre régents du défunt seizième karmapa,* comme étant « la dix-septième réincarnation » de ce dernier. Ce choix n’est, hélas, pas celui des deux autres régents survivants, ni du dalaï lama*. C’est, cependant, le nouveau « maître » officiel à Félicité. Il y bénéficie du plus haut rang protocolaire du lignage, supérieur au « Très Précieux. »*

Tantrisme : néologisme issu du terme sanskrit tantra. Il évoque une initiation secrète à la dimension subtile et très subtile respectivement du corps humain et de sa conscience. On compte aujourd’hui deux grandes orientations au tantrisme. L’une est d’origine hindoue. L’autre est aujourd’hui bouddhiste.

« Très Précieux » (le) : En tibétain se dit Rinpoché ou Rinpotché. C’est ainsi qu’on appelle poliment le maître dans chaque école himalayenne. On a choisi de traduire ce terme en français pour nommer le maître de Félicité en préservant son anonymat.

* : terme expliqué par une notice du glossaire.






L’avenir a toujours raison


Pour approfondir la compréhension de ce récit, un texte spéculatif a été adjoint sous la forme de l’annexe suivante. Son accès est difficile et le lecteur pourra ou non le compulser s’il le souhaite.

L’organisation monastique en tant qu’algorithme à syntonie téléologique
Il est pensable que le processus par lequel la réalité tantrique se construit échappe à l’entendement quadridimensionnel. Nos trois dimensions d’espace et celle du temps sont trop apparentes pour rendre l’image probablement multidimensionnelle.

Il est clair désormais pour nous que les maîtres ne sont pas les seules passerelles entre les disciples et cette organisation tantrique. Les maîtres sont évoqués, mais ils sont parfois sans connaître les intentions de leurs élèves. C’est d’ailleurs parfois raconté. Il se peut qu’ils aient leur propre expérience de la réalité et ne rencontrent pas toujours toutes les aspirations des disciples. On doit donc supposer que les disciples, ayant reçu l’influence du tantra, sont eux-mêmes les portes du tantra vers une profonde énigme. Ils sont peut-être transformés eux aussi à un niveau subtil et peut-être très subtil. Il est en effet remarqué par les visiteurs certains traits de ressemblance entre des moines issus des retraites. Il nous paraît clair que ces niveaux subtils sont atteints par les méditations tantriques. Les divinités offrent parfois à des hommes une identification à une forme sans organes sexuels. Il est pensable que, pour le pratiquant, cela influe progressivement sur sa propre constitution psychosomatique. Il est possible que les modes d’action tantriques soient évolués, et se situent au-delà de la pensée humaine. Nous avons l’impression de la synergie collective au monastère. Il semble se produire des convergences entre les initiatives individuelles. Une sorte de syntonie collective paraît y harmoniser la vie quotidienne.

Il est souvent relevé par les observateurs qui visitent le monastère le sourire et le charme des eurolamas. Il est pensable que ces qualités soient instrumentales. Il nous paraît intéressant de voir la distinction entre ces sourires aimables et le manque de congés pour les bénévoles au chantier. Il est ainsi apparu une incohérence entre l’apparence et le réel, le discours et la pratique. Nous supposons maintenant que ces stratégies sociales sont douées de but, de finalité. Elles tendent à asseoir le monastère, à dynamiser les constructions, et à offrir une bonne image aux visiteurs. Il est appelé téléologie (de « télé » aller vers, et de « logos » parole) la dynamique des systèmes orientés vers des finalités qui leurs sont propres. On peut ainsi supposer que la réalité apparue ici est téléologique. Le tantra semble posséder sa propre capacité de se promouvoir, de s’établir et de se défendre aussi contre les opposés. La forme sombre et courroucée de Bernie est souvent considérée comme le recours. Il se peut que pour la collectivité, les effets soient d’un ordre supérieur aux effets individuels.

La hiérarchie monastique, la verticalité des relations sociales, est clairement visible. Elle est aussi rendue instrumentale. Il est possible que les priorités soient faciles à comprendre. Le « Suprême », les disciples, les visiteurs semblent pouvoir se relier à une image du prestige comparé des personnes. On peut presque découvrir un ordre dans la lignée lorsqu’on aperçoit les fidèles se promener. Un moine semble plus haut placé, qu’un curieux. Le « Très Précieux », plus prestigieux qu’un de ses retraitants. Un responsable pédagogique, plus introduit qu’un de ses élèves en retraite. On peut ainsi parler d’un système informel. Il correspond assez bien au lignage. Il se peut que les priorités, affirmées, volontaires et « adamantines, » dans cette lignée correspondent à un fonctionnement caché en arrière-plan de son système humain, souriant et doux. On a l’idée de qualifier ces permissions, ces devoirs, ces possibilités de décider, qui sont vraisemblablement très hiérarchisés par la place dans le lignage, d’algorithme. Un algorithme est une procédure étape par étape pour accomplir des opérations multiples de calcul, qui peuvent être répétées avec des informations successives.

Il nous faut ici rappeler nos trois points successifs : le système ancien du monastère évoque un algorithme à syntonie téléologique. Il prend l’apparence d’une magnifique reconstitution. Ses stucs, son ciment peint, ses excès de dorures, ses couleurs chamarrées, sa délicate pacotille constituent une surface lisse qui recouvre sa logique : se développer.


Une hypothèse féconde
Peut-être le lecteur pensera-t-il en lisant ces pages que l’auteur est irrémédiablement issu d’une pensée matérialiste, agnostique et réductionniste. Il n’en est rien. Bien de mes illusions se sont pourtant réduites au contact des expériences sociales et intérieures avec le bouddhisme tantrique. J’ai dû renoncer à un idéal « de spiritualité » possible, à une alternative spiritualiste au monde d’aujourd’hui. Cependant, tant mon séjour au monastère que les expériences de retraite individuelles qui ont suivi en ermitage, tendent à évoquer une évidence.

Il existerait « parallèlement » à notre univers matériel et à nos vies biologiques d’autres formes de conscience, d’expression, d’action efficiente, qui échappent à notre entendement, à nos sens et même à notre constitution fondamentale. Il est probable que cette présence soit au-delà de nos cinq sens, de notre pensée, et appartienne à d’autres facultés conscientes que les nôtres. Rien ne permet de nier formellement qu’il y ait un art et une science très évolués de la vie. Par les périodes de retraite j’ai pu supposer, sans en avoir la preuve, ni l’évidence, que mes potentiels, ceux des autres, ne tenaient pas seulement à nos formes corporelles, à leur mécanique biologique, ni même uniquement au cerveau humain, et à son éducation. Il y avait une autre profondeur. Il y avait sans doute un grand champ qui, m’étant imperceptible, se réduisait à la dimension unique d’un inconcevable.

Se peut-il que, tout comme notre univers est peuplé d’un grand nombre d’espèces aux qualités diverses, qu’un autre champ de la réalité qui nous environne soit peuplé lui aussi d’une grande variété de présence(s) subtile(s), voire très subtile(s), qui ne nous sont perceptibles que par les effets globaux qu’elles induisent ? La question se pose. L’évolution humaine, sa fulgurance, le progrès technologique, les percées des inventeurs, on peut se dire aujourd’hui que peut-être tout cela échappe en somme à l’évolution historique...

Faut-il aussi faire l’hypothèse de la contribution d’autres expériences qui existeraient en interactivité avec la vie humaine ? Y a-t-il d’autres règnes conscients très différents du nôtre, humain, qui s’expriment dans l’humanité à travers leurs effets résultants et apparents ? Serions-nous comme les placides charolais dans les prés de l’Auvergne, des êtres sans invention réelle et autonome ?! Sommes-nous mis au monde outre notre substrat biologique et génétique, outre notre environnement familial et médical, par des influences imperceptibles, très discrètes, qui ont appris à maîtriser et à comprendre l’art et la science subtils de la vie elle-même ? Sommes-nous leurs « obligés » ? Je ne peux le dire.

Peut-être ces influences sont-elles aussi le fruit d’une diversité et parfois de confrontations. Il y a chez les humains des gendarmes, quelques voleurs, des gymnastes et des artisans, etc. Existe-t-il aussi une variété subtile, voire très subtile, de présence diversifiée aux qualités et aux propensions infiniment complexes pour notre entendement en quatre dimensions (trois dimensions d’espace et un vecteur pour le temps) ?

Certaines influences ont-elles la faculté de nous orienter vers les collectivités uniformes ? D’autres, invisibles, nous en préservent-elles généreusement ? Les dons naturels de notre corps humain seraient-ils exploités en filigrane de manière quasi imperceptible par certaines énigmes de ces « mondes immatériels ? » Serions-nous comme des saumons d’aquaculture, des vaches laitières ou des bébés éprouvette, voire des souris blanches dans un laboratoire ?! La qualité vitale, primitive et adolescente de notre expérience humaine sensorielle, attentive, voire positive, est-elle dans d’autres plans inaccessibles à nous de la « réalité », une sorte de gisement productif disponible, une sorte de « pétrole » invisible pour nous, et perceptible dans d’autres dimensions ?

En échange recevons-nous la nouvelle technologie, le confort, la science, la fécondation culturelle de nos civilisations à très haute vitesse ? Les caméras numériques à trois millions de pixels de définition d’image pourraient-elles dépendre aussi d’autre(s) conscience(s) multidimensionnelle(s) en plus de la simple accumulation d’expérience technique humaine du passé ? Ce n’est pas à moi de répondre, je laisse à chacun ces questions.

En réalité, bien que je n’aie aucune réponse, aucune image même à donner à ces énigmes, il est évident qu’elles sont bien de notre temps. D’autres formes de réalité seraient-elles plus sophistiquées, que nous ne pourrions pas les percevoir ?! Pourraient-elles, en revanche, se manifester de toutes sortes de manières, selon leurs conséquences induites ? Il semble bien que nous soyons en quelque sorte des « homo sapiens » en devenir.

Existerait-il une incompréhensible évolution, une telle avancée possible dans les arts de la vie ? Je dois renoncer à nommer et à comprendre une connaissance complète de la réalité. Même le temps qui nous paraît si sérieux, une sorte de butoir, de roue à cliquet qui ne tourne que dans un seul sens ici-bas, pourrait être un imaginaire. Ne serait-il pas extravagant que, depuis le futur, d’autres temps que les nôtres interviennent aisément, tout comme le passé se manifeste aussi par ses effets perceptibles aujourd’hui ? Peut-être le temps lui-même est-il une sorte de réduction particulière à la vie humaine qui lui permet d’être ce qu’elle est, et de déployer ses facultés comme elles sont aujourd’hui ?

Faut-il ainsi dépasser le religieux, le sacré, voire le spirituel ? Ils touchaient à quelque chose de « plausible. » Certains appelaient cette présence : « ange », « archange », « archaï », « chérubin », « séraphin » dans le monde judéo-chrétien. D’autres la nommaient « bodhisattva des terres pures », ou bien « divinité, » voire enfin « protecteur » chez les moines du bouddha. Peut-être ces aimables appellations étaient-elles valables après tout pour d’autres, afin de nommer l’incompréhensible pour tous ? Quant à nos juniors, ils découvrent avec amusement sur leurs consoles de jeux vidéo et au cinéma toutes sortes de créatures d’anticipation hautes en couleurs, voguant dans des vaisseaux spatio-temporels, et mettant en œuvre toutes sortes de technologies ludiques.

Peut-être cette perspective, de Terminator à Matrix, est-elle tout aussi folklorique que notre ancien sacré religieux ? Il est en effet impossible de réduire à quelques dimensions étroites la vaste réalité universelle, pour appréhender les phénomènes qui ont sans doute plus de dimensions que nous ne pouvons l’imaginer aujourd’hui.

La diversité probable et incompréhensible qui nous interpelle dépasse aujourd’hui le paisible chemin de la foi (légitime d’ailleurs pour ceux qui trouvent qu’elle pacifie leur cœur.) Quant à la science-fiction et à ses robots, je les trouve trop nets, leurs vaisseaux spatiaux trop graves. Y a-t-il des dimensions subtiles, légères, autres, où la vie — donner la vie, et recevoir la vie — est un art, une science, une pratique et... toujours un mystère ?

Mais, peut-être, tout le monde (religieux, scientifique, artistique, science-fiction) a-t-il ici aussi raison ? Chacun décrit à sa manière un monde qui lui est rendu accessible, soit par la foi, soit par le raisonnement, soit par l’imagination...

Je me souviens, il y a quelques années, de ce scientifique français[1] qui avait affirmé avoir reçu « d’extraterrestres » certaines de ses hypothèses les plus fructueuses sur la gravitation magnétodynamique des vaisseaux de l’avenir, publiées dans un article académique! Cela fit grand bruit dans la presse, et nul doute que les milieux scientifiques l’ont pris à la légère! Mais c’est sans doute la définition que ce chercheur pouvait donner à ce type de phénomène, à partir de son propre paradigme scientifique, et à partir de certaines limites de la langue humaine et de l’imaginaire naturel du monde terrestre.

Comment aurait-il pu l’exprimer aujourd’hui ? Peut-être cette affirmation a-t-elle propulsé la science du vingt et unième siècle de plain-pied dans une époque du futur ? L’avenir lui donnera-t-il raison? On jugea « hérétiques, » ceux qui avaient affirmé la rotation terrestre, il y a quelques petits siècles... « Et pourtant elle tourne, » nous le savons maintenant : l’avenir a toujours raison.

La prochaine grande évolution sera-t-elle liée à la découverte de nos interactions avec d’autres réalités, plus subtiles encore que le monde corpusculaire et ondulatoire ?

Je sais gré à la « spiritualité » et au dalaï lama de m’avoir permis d’ouvrir le champ de ma curiosité dans des directions scientifiques nouvelles. Mais je n’ai pas souhaité adhérer à des approches incomplètes de la réalité contemporaine.
J’ai donc gardé mon esprit de libre penseur tout en accueillant cette hypothèse plausible : le monde foisonne, en son filigrane subtil, d’intelligence active, de réalité sophistiquée, et nous sommes créatures, tout autant que nous sommes — quand même — les co-créateurs d’un monde en métamorphose...







« THE VOYAGE OF THE FIFTH SEASON :
a monastic inquiry into the meaning of eurotantra », English abstract

key words : eurobuddhism, karmapa, dalaï lama, tantra, vajrayana, mantrayana, monastery, Europe, monk, novice.

Europeans are very open to Tibet in exile. The Buddha enjoys a repute of liberty and wisdom. Translations are made widely available today, which expand the Buddhist teachings spread in the West. Monks and lamas, worshipped to be holy reincarnations (tulku), get wide newspaper acclaim. Positive images coming from the Roof of the World charm increasingly Western public opinion. Colorful photographs coming from the Himalayan cultures rejoice increasing numbers of Westerners. A new monastery, devoted to tantra ritual practices, is now built, and has quickly grown recently in Europe. This first Félicité monastery, claiming to be endowed with a continuity of transmission of one among the four ancient Himalayan main lineages, is now operational. It trains now generations estimated between one to two hundred practitioners, both male and female. Some among them, have already graduated as European lamas after three to seven years of collective retreats. Now the newer monks, coming from this training program, hold the more realistic title of droupla (retreat lamas). Nevertheless, this center educating a significant number of Western lamas is now ready. These ones will become highly cohesive vectors of a specific « tantra life style » in Europe. Will the wonderful appeal of the colors and wisdom of the Buddha will succeed in luring many Europeans into this school ? We have chosen to analyze our own immersion during one year as an ordained novice, wearing the robe of the monks, in this community. However, the intent of this research is not to fuel a criticism, which would jeopardize the generous efforts of monks and nuns in Europe. Our aim is to convey our experience with this particular Himalayan monastery, as it has been available to us. We have kept anonymous all the names and private information concerning this Félicité monastery, its monks and teachers. We wish to enhance mutual understanding between Himalayan cultures and Europe free from any prejudice or procrastination.

I
Many books, translations of classic canonical texts of tantra, are now available. On the display tables at the main libraries huge proportions of recent publications in religion are now devoted to Himalayan Buddhist cultures. Little study has been made available in the West dealing with the social and psychological impacts of some of the antique tantra cultures in the traditionally humanistic and democratic values of the European community.
We have lived one year, as a novice wearing monastic robes, with the oral permission of the old master of the Félicité monastery. We began by working at the kitchen as an assistant to the cook. Then, during more than one month, we were a worker tiling the new refectory and bathrooms at the monastery. We, then, became a secretary by interim of the master. We answered the mails that he received from his disciples, during five months. We were, at that time, the phone operator of the new Félicité monastery. We were then assigned, during five more months, to freely edit the books of the master, on our laptop Macintosh computer, in our room at the Félicité monastery.


II
The « I » as a positive life orientation is challenged by the so-called « egolessness » of the Buddhist perspective, if the latter is merely cliché. In a very cohesive community, officially dedicated to the abandonment of ego-clinging, can « I » remain a presence ?
In this development, we describe the surprisingly high turn over of newly ordained monks. Out of seven new monks ordained in this Félicité monastery during my stay, four of them, leave the community after few years. Among these four, three are fully ordained, and one (the author) is a novice. These three men, instead of being educated in Buddhist meditation there, have to work full time, without pay, during several years, benefiting the community. They are denied either on-the-spot retreat weeks, or regular holidays, except week-ends and one week of vacations at Christmas. Some work on the building site of the future monastic compound, about 6 hours and 30 minutes a day, 5 days a week, almost all year long (roughly 247 days of full time work during the year we stay there). Some monks have been doing this for four years in a row. Of course they can leave the monastery for some private vacations. But for some, coming from abroad, and without financial resources, this is impossible. They stay and work, waiting for the next traditional 3 years retreat to welcome them, hopefully. However, for reasons unclear, these venerable monks, having the full ordination, will be denied the status of lama. Actually, most are barred from admission to the 3 years group retreat. One, although gets in, but he is probably quite disappointed with what he finds there. He decides to quit after several months, and comes back to his home country. Knowing him well, it is true that his awareness and dedication are among the most outstanding at the Felicity monastery. In short, it seems that these new monks here carry an exceedingly heavy burden. Seemingly, they cannot devote themselves to their meditative lifestyle. Due to heavy work and no vacations on the spot, they cannot study either sufficiently the Buddha’s texts, « the 3 baskets » (vinaya, sutra, abidharma), during years following their ordination from the master.

III
Today, as we look back at this time, we are however satisfied to have been a novice serving a Buddhist teacher. We have fully left the tantra anyway afterwards. It is really a rich food for thought. It is one of the last years of this teacher who dies soon at 80 years of age. This training does not deserve any passion, nor infatuation, though. Just as the appeal of tantra has completely vanished in my stream of life, will it be the same, in the future, for some Europeans, too ? Could it be a mere fashion ? Not so, but it may reveal more and more testimonies of monks exposed to one of this ancient paths, and willing to share with others the fruit of their understanding. Therefore the secrecy of joy & suffering at the Félicité monastery may well be over. After the teacher dies, I recover gradually my individual consciousness, and my autonomous lifestyle. Playing harpsichord and alto flute, Vivaldi’s Four Seasons recreate my Western culture. I find myself riding my trail bicycle, and enjoying the sunshine again, to strengthen my body anew. Relating more with others, I begin to share new creative relationships again. Writing down this encounter with an antique culture, gives me a sense of meaningfulness and usefulness.
Doe this school induce a stereotyped spiritual research, another quest of a collective religious life? Is it adapted to every individual mind-body continuum? How does it fit to the history shared by the Europeans ? How this peculiar yoga tantra, in this monastery, can really fulfill various and subtle individual aspirations?

IV
Spectacular decorations, bright colors of suits, blazing incantations, are tremendous advertising power for the Félicité monastery here. Aren’t they a show ? Despite repeated advice given in Buddha Sakyamuni’s discourses, the Félicité monastery displays a fully ritualized form of meditation. Religious cult seems to pervade the whole institution. Is it possible to distinguish here Buddhism from its parody ? How is it possible to quietly meditate amidst the roars of the horns at the temple ? How to keep our subtle energy peaceful amidst the loud rhythm of the wood drum ? One teacher of the Félicité monastery compound is quoted to have said, looking at the pagoda-shaped roof of the new 1000 Buddhas temple : « It looks like Pizza Hut’s! » Is there an advertising strategy and a behavior-shaping ancient ability, mixing with the serene message of Buddha Sakyamuni here, to impress visitors and devotees ?

V
It is pleasant, however, to live as a novice. I wear the robes, I join hands and I have my head shaved. The quiet life style includes a daily discipline. It is heartwarming to share tea with a few monks, in the afternoon and to chat quietly amidst a soft presence. It is a real happiness to discover, I do not need temporary artificial samadhi from intensive tantric rituals. Life, love, brotherhood, awareness, duty, are perfect as they are. Let’s walk around the Félicité monastery and watch the old carps swimming in the lotus pond. It is a short golden age here, I know it will not last after the death of the old master... It will go away, all karma sankhara are impermanent, all conditioned phenomenons do not last. The intensive use of wrathful protectors rituals, the shared desire for ecstasy and quick results from practice, the split and rigid hierarchy of the lineage, are signs for me to leave this organization soon...

VI
The bowls of the monks are no more in use at the Félicité monastery. Lamas use anonymous plates for their meals. The sutra texts of the Buddha are not much studied here. The vows of the monks are not taught in detail. Most of us know only the 5 basic vows : not to kill, not to steal, not to lie, not to have sexual intercourse, not to take intoxicants. But the other hundreds of vows are not taught at the Félicité monastery. It is strange also that the four noble truths of the first sermon of the Buddha in Sarnath (India) are not clearly specified. The same is true for the 12 links of dependent origination which are not taught in detail during my one year stay at the Félicité monastery. Therefore it seems that the education of the monks is based solely on this particular Himalayan heritage. I nevertheless study by myself. I attend the Dalaï Lama’s public sessions in France and Spain. It is useful to receive the Buddha’s teachings there.

VII
The wisdom, that we experience everyday, does not come from the golden statues in the temple. Our brothers and sister monks, as well as the lay volunteers exemplify the way of life that we chose to learn. The way they speak, behave, work and live are teachings in everyday Buddhism. However due to hierarchical dynamics, brotherhood is not always the essential value. Devoting oneself to the Lamas in power is the priority. It tends to jeopardize the sound and highly human feeling of love that we are lucky enough to encounter here. The perspective of the retreat training tends to foster a more solitary behavior. Some are too quick in leaving their personal network of relationships. It may lead them to have some regrets in the future if the tantra does not keep its optimistic goals. « Enlightenment in one lifetime » seems to be the motto of some! As for me it is merely a stereotype. It is anyway the opportunity for us to open to the subtle changes brought by the four seasons. I enjoy living here from Winter to Spring, and from Summer to Autumn. Clear night skies full of shivering stars rejoice my mind. Soft or harsh winds awaken my attention. The flowing streams running through the valleys sing softly... A happy novice indeed!

VIII
The Félicité monastery offers a picturesque facade. This image constitutes the accessible part of the world of tantra. The reality of tantra is secretly transmitted to the Europeans here. It is indeed beyond the scope of our four-dimensional evidence. Thus, it is necessary to look at aesthetics and rituals displayed here. They reveal clues that one can understand within their contextual framework. Bright colored garments including gold embroideries and silk brocades adorn the young master’s traditional clothes on the photographs of him, that we display, out of devotion, in our rooms at the monastery. Splendid rituals at the temple here consecrate lavish pork meats, pizza pies, cakes, chocolates, and luxury foods. Cola drinks, various red and white wines, special beers, and other alcoholic beverages are made freely available, sometimes, at the evening public rituals (tsok puja). There is seemingly an ancient way to seduce, subjugate, and magnetize believers in the West! This Félicité monastery exhibits therefore an old persuasive and advertising technique, somehow a very efficient one. A large temple features one thousand gold plated plaster replicas of the same Buddha’s statue. This stereotyped art is impressive indeed. However does it create a brand new serene style for the culturally conscious Europeans ?

IX
Time is ready now for the first analysis of this monastic organization. What kind of community, which goals and projects are planned for the future? During our stay a discrepancy appears between the so called lamas (just coming out from the 3 years retreats) and the volunteers (both lay and ordained persons). Their conditions of admission, as well as their standard of life, are extremely diverse. Volunteers, including newly ordained monks, are working with their own hands, everyday, on the building sites, for most of them. They wear old clothes, muddied and stained trousers. Their feet are often wet in their soaked socks and shoes, due to construction under progress facing rain and snow. They live in a building without heating, during my stay. (An oven will be available after I leave the community in their dining room). At the Félicité monastery dining hall the situation is quite different. No hard work in general for the new lamas. The reality of the Félicité monastery seems to concentrate large shares of political, economic and cultural powers into few hands. Officials of the « lineage » (sic), according to their rank, accumulate a relative power, at their own level of prestige, and they operate everyday according to it. Equality and brotherhood will have to be introduced by the Western volunteers little by little in the future, it seems.

X
This Félicité monastery is a paradoxical place indeed! One can study there rituals that were clearly examined by the Buddha himself in his own time. Not only rites, but also devotional ways, that the Buddha said to be views, are available here. In the well known « Kalama sutra » Sakyamuni disclosed his charter on free inquiry which founded the modern age of individual search for meaning. However, it seems that his advice, against stereotypes, is not taken very seriously in that particular school. Devotion, as it appears, is considered by the hierarchy as the core of the way. Individual analysis is discouraged as a self-centered prejudice, to write it straightforwardly. Of course the authority and power of those in position of influence are therefore established. They do not even have to show supramundane evidence of wisdom and compassion. To be sitting on a throne is a sign of speaking the truth ? As individual consciousness is not central to the training, most disciples here accept the structure and system as they are. They say : « it must be the blessing of the lama » to welcome a good experience. Or, they compassionately admit, if things are too difficult at times : « it must be a purification of my bad karma » They are very kind, that’s for sure. Their choice is therefore simple and demanding at the same time. It consists mainly in accepting almost everything. As for me, this very trustful attitude is not the only one. It may be true that the Buddha’s teachings, in their wide scope and range, include sometimes contradictory advice. It seems that I am more inclined towards the Kalama Sutra view on free thinking and individual experience. In such a monastery all profiles of monks and lay practitioners live in reasonable good harmony. Some, like the contemporary citizens of mankind, use their understanding. Others try to open well, they make their best to consider their lamas as expressions of wisdom and compassion. It is possible to do this as a way of life. Nevertheless, as for me, the real learning comes from my understanding.

XI
Is the ability of this school to attract attention and goodwill is caused by the strong density of its images, concepts and ways ?
A change in my human subtle energies (prana and nadi) happened. Further research is nowadays indeed requested to assess the effects of such processes. However science and social paradigm today cannot really integrate these new phenomenons. As for me I wish that I would have known in advance the effect of such subtle transformation. In such a careful and thoughtful way, I would have probably chosen another monastery for meditation and meaning. Future assesses the real value of a new paradigm. Time will tell, and beforehand and factual evidence, I have no certainty.


XII. EUROBUDDHISM
Buddhism is truly an expression, free of dogma, of wisdom & compassion. Is it sometimes a religion, directed toward spreading a universal message ? Are its corpus and theory, established more than two millennium ago, still sharp today, to keep a cutting edge in the jungle of contemporary issues ? Is its wisdom eternal ? Can it bridge over time ? Do metamorphosis of technology make it age today ? Is emptiness (as Madyamika Prasangika teaches it), the core of a more complex, plural, intricate, timely knowledge?

XIII
Life, love, learning : the « 3L » give me human opportunities to grow and discover. An air trip, a kind friend monk, a cup of hot tea with cookies, the city beat, the countryside freshness, my old books : there is a such wealth, richness and such depth in life itself, it is without doubt the first of all « monasteries ». Learning everyday to play harpsichord and flute is so demanding, that I wonder how it would be possible to try to reach enlightenment in one lifetime! I discarded this dream as a mere echo in the valley of my mind, as a mere rainbow in the sky, a mirage, the moon reflecting in a still water. Life is it. Mind fully expresses in this world, as far as I can understand it. Of course as a human I am only a very primitive being. Other worlds, interact with my human consciousness, feelings and body. Is the specific, single, remote, goal of awakening to be searched for a single person ? We learn from all. I am not aiming at a quick enlightenment, which is a ritual promise of this particular Himalayan school, devoid of any striking example at the Félicité monastery that I study. But I try, like everyone does, to cultivate : ethics, progress, understanding, friendship, science, art, philosophy... which can contribute to promote happiness and reduce suffering.

XIV
Recently the Dalaï Lama has made well known to the public that the teen-ager heading Felicité monastery should not be entitled as karmapa, the master of the traditional lineage. H.H. has acknowledged and welcomed another boy, Orgyen Trinley Dordjé, as the XVIIth karmapa, who now lives in exile. A new era seems to start. Further research is needed.






SUR L’AUTEUR

Esquisse biographique de Marc Bosche. Né en 1959 en Corrèze (France). Baccalauréat scientifique avec mention Bien (1977). Obtient un Certificat d’Aptitude Professionnelle (C.A.P.) de mécanicien par goût de la mécanique des cycles à moteur (1980). Diplômé de l’ESSEC (1981). Licence de Psychologie à La Sorbonne (1982). Boursier & Alumnus de la Rotary Foundation International. Séjour d’études supérieures aux Etats-Unis avec une recherche sur Paul Watzlawick et les paradoxes de la conscience. Obtention d’un Master Degree de l’université d’état de l’Ohio, campus de Bowling Green (1983). Travaille à des projets de publications à Paris, dans la Revue Française de Gestion, sur le thème de la culture sociale des organisations. Étudie la sociologie à l’Université de Paris Dauphine. Diplôme d’étude approfondie de troisième cycle de Sociologie des Organisations (1984). Il rencontre Antony Wilden à Paris qui sera pour lui d’une féconde inspiration anthropologique. Séjour en Corée du Sud. Attaché-adjoint à l’ambassade de France, chargé des études de conjoncture (1985-86). Soutient sa thèse de doctorat (mention Très Honorable) sur les stéréotypes culturels, à l’université de Paris Dauphine (1991). Voyage fréquemment en Asie, découvre les pays de tradition bouddhiste. Invité à l’Université Keio de Tokyo comme visiting associate professor pour un semestre de cours sur l’interculturalité Occident-Orient (1992). Publications en sciences sociales et anthropologiques, avec en particulier « le management interculturel » chez Nathan Université (1993, Lauréat du Prix ComEx 1995) et dans : Harvard l’Expansion, l’Encyclopédie Vuibert, Intercultures... Parallèlement publie une collection de poésie et textes en prose. Pratique l’enseignement à un niveau universitaire (en « Grande École ») des sciences humaines (anthropologie, psychologie, sociologie) comme professeur-chercheur permanent à l’ESSEC (de 1989 à 1998). Observe le bouddhisme de tradition himalayenne qui s’implante en Europe (de 1990 à 2000). Puis, comme novice d’une congrégation, explore le plus vaste monastère européen en construction, depuis l’intérieur. Prépare les manuscrits pour l’édition des deux dernières œuvres écrites du vieux lama himalayen (1995). Pour le premier des deux livres, finalise le manuscrit définitif qui sera publié tel quel par l’éditeur Dzambala (1996). Pour le deuxième, qui sortira finalement chez Lattès, puis en Press Pocket, élabore l’édition littéraire des premières versions longues de ce « testament spirituel » de Guendune Rinpoché, qui sera revue et publiée par ses disciples proches sous une forme plus concise. Après une année d’immersion complète, reprend sa vie professorale (1996), avant d’élaborer progressivement une anthropologie de ce phénomène social (1998-2001).




PUBLICATIONS DE L’AUTEUR


Livre universitaire :
« Le management interculturel », Paris, Nathan, 1993. (Lauréat du Prix ComEx, Lille, 1995, du meilleur ouvrage sur ce thème.)

Articles ( Sélection de quelques publications) :
« L’invisible colonisation japonaise » Paris, Le Monde Diplomatique, novembre 1996.
« Le management participatif », Paris, Encyclopédie Vuibert, 1992.
« Stéréotypes culturels : deux visions de la Corée du Sud », Paris, Revue Intercultures, février 1991.
« Deux visions de la Corée », in Management Interculturel, Modes & Modèles, chapitre VI, Paris, Editions Economica, 1991.
« Répartissez la gestion des Ressources Humaines » Harvard-L’Expansion, numéro été, 1989.
« France/Corée : au-delà du langage international des affaires », Paris, Revue Française de Gestion, numéro 64, sept.oct. 1987. p. 83-90.
« Corporate Culture : la culture sans histoire », Paris, in Revue Française de Gestion, oct.-nov. 1984.
« Cercles de qualité & culture d’entreprise, une étude de cas », Revue Française de Gestion, oct.-nov. 1984.

Recueils de littérature & de poésie :
« Ami Kami », Vigny, Poëtiques, publié avec le concours du Centre National du Livre, 1993, (publié sous le nom de Kenji Fujiwaka).
« Fleurs & Parfums stellaires », Vigny, Poëtiques, 1993, (publié sous le nom de Sami Ananda).
« Tribut à Samaël, volume II », Vigny, Poëtiques, 1993.
« Les Terres Pures, l’éther pur » Vigny, Poëtiques, 1993, (publié sous le nom d’Im Hwa Soeng).
« Au peuple de Corée, lettre ouverte », Vigny, Interactifs, 1993.
« Verger d’amour, promenade européenne », Vigny, Interactifs, 1992, 130 p.
« Bébé soleil » (nouvelle), Paris, in Revue du Génépi (visites aux prisonniers), Spécial littérature, 1993.


Traduction & biographie :
« Nobles Vérités » l’enseignement du bouddha Sakyamouni, les premiers sermons historiques, précédés de la biographie de ce dernier. Sutra pali traduits de l’anglais avec l’accord de la Buddhist Publication Society, Kandy, Sri Lanka, 1994.

Thèse de doctorat :
« La problématique du management interculturel : une étude de cas sur les stéréotypes culturels des hommes d’affaires français et coréens à Séoul. » Paris, Université de Paris Dauphine, 1991, 619 p.

Quelques articles & documents de recherche en relation avec ce livre :

« Un monastère bouddhiste tantrique de style himalayen en Europe ; Le rythme rapide d’une vie bénévole. » (article paru printemps 2000)
« Le nouveau monastère tibétain séduit-il les Européens ? Le désenchantement complet d’un moine novice. » (article paru été 2000)
« J’ai vécu dans un monastère tantrique en Europe. La triple articulation sociale à inventer. » (article paru été 2000)
« Santé sociale et vie communautaire : un monastère de culture himalayenne en Europe. » (document de recherche I-2000)
« J’ai vécu dans un monastère tantrique en Europe. Signes et sens du style himalayen. » (document de recherche II-2000)
« Le moine & le moi : dévotion himalayenne / liberté du penser » (document de recherche III-2000)
« Un monastère bouddhiste tantrique de style himalayen en Europe ; le maître et ses orientations quotidiennes. » (document de recherche IV-2000)
« Culture européenne & bouddhisme himalayen. » (document de recherche V-2000)


composé par l’auteur
avec Macintosh sur un coteau
— arboré de chênes, pommiers,
poiriers, et d’un modeste cognassier —
où murmure l’eau de plusieurs sources claires,
charmante terre de bocages, de pâturages & d’agriculture
exposée aux brises et aux pluies de l’océan atlantique.
Mis en ligne sur Medion - grâce aux bonnes idées sur la gratuité et le partage des technologies de Mr Sergei Brin, Mr Larry (Lawrence) Page et toute l'équipe de Blogger.


ISBN 2-9516584-0-0


Dépôt légal et copyright : avril 2001, pour la version papier brochée. Copyright Marc Bosche 30 juillet 2002 pour la présente édition numérique.





Notes :
[1] Il s’agit de Jean-Pierre Petit, Directeur de recherche au C.N.R.S., actuellement en Poste à l’Observatoire d’Astrophysique de Marseille.


Ce présent travail de sociologie et d'anthropologie sociale reçoit un écho sous la forme d'un récit d'observation participante, accessible en texte intégral (gratuit) :
Le Voyage de la Cinquième saison, Une Lamaserie en Europe, Le récit d'une expérience Monastique (103 p.) http://encyclopedie-du-bouddhisme-4.blogspot.com/


On peut écrire à l'auteur à sa boîte de contact (lien d'accès en page d'accueil) : http://marc.bosche.ifrance.com/27.html

Le site http://anthropologie-interculturelle.blogspot.com/ est dédié à l'interculturalité, à l'anthropologie interculturelle. Il offre un ensemble gradué de cours sur l'interculturalité. Il comporte des illustrations concernant l'adaptation du bouddhisme en Occident sous la forme de textes en accès libre, et d'une "sélection de sites" (anglophones & francophones).

Deux autres ouvrages sont également disponibles en texte intégral et accès gratuit (du même auteur) :

Un roman, Nirvana, le Réveil des Oiseaux (264 p.) http://encyclopedie-du-bouddhisme-2.blogspot.com/ explore les nuits mystérieuses d'une lamaserie. Trois amis enquête sur une terrifiante énigme.

Un essai critique sur les difficultés de l'adaptation du bouddhisme aux Occidentaux, Bouddhisme, Gouttes de Rosée aux Jardins du Lotus, L'inversion de l'utopie (128 p.) présente les dimensions les plus actuelles du phénomène bouddhiste au risque de sa propre mode en Europe. http://encyclopedie-du-bouddhisme-1.blogspot.com/

À découvrir également :
http://perso.wanadoo.fr/marc-bosche
Le nouveau site perso multimédia de Marc Bosche invite à l’exploration de l’univers fascinant de l’interculturalité. À la rencontre des cultures asiatiques, le vaste ensemble de ressources textes, images et musiques est en accès libre, gratuit et texte intégral.

Tous ces livres de Marc Bosche sont également disponibles au format PDF à partir de la microplateforme de chargement PDF qui comporte les réponses aux questions fréquemment posées à ce sujet (F.A.Q.)

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